Un cas de papillome trachéal : aspect diagnostique et thérapeutique
Le papillome est une tumeur épithéliale bénigne des voies aérodigestives supérieures dont la localisation trachéale est rare. Notre objectif est d’exposer un cas rare mais grave pouvant mettre en jeu le pronostic vital.
Nous rapportons le cas d’un papillome malpighien trachéal chez un homme de 39 ans, compliqué d’un syndrome mixte à prédominance obstructif ,rapportée à un asthme. La nasofibroscopie objectivait une tumeur pédiculée au niveau de la trachée, à travers l’orifice glottique. L’histologie a conduit au diagnostic de papillome malpighien. L’évaluation clinique à 2 ans n’a pas retrouvé de récidive.
Les signes cliniques de cette tumeur ne sont pas spécifiques, d’où l’importance des explorations para cliniques. Notre seule option thérapeutique a été la trachéotomie avec exérèse de la tumeur vue l’inaccessibilité des autres techniques. Le rythme de suivi n’est pas bien établi car l’évolution est capricieuse. Il s’agit du premier cas de papillome trachéal rapporté dans notre service. Le risque de récidive locale impose une surveillance prolongée.
Introduction
Le papillome est une tumeur épithéliale bénigne, résultante d’une infection virale par Human Papilloma Virus (HPV). Particulièrement récidivante, c’est la plus fréquente des tumeurs bénignes des voies respiratoires [1]. La localisation trachéale est rare [2]. Nous en rapportons un cas qui peut mettre en jeu le pronostic vital. Nos objectifs sont de discuter de cette forme clinique et de mettre en exergue la difficulté de la prise en charge.
Observation
Un homme de 39 ans consultait en ORL pour une dyspnée sifflante évoluant depuis 06 mois. Il n’était pas tabagique et n’avait pas d’antécédent de radiothérapie de la trachée. Cette dyspnée était rapportée à un asthme, qui était sans amélioration malgré un traitement bronchodilatateur. A l’examen physique le patient présentait une dyspnée à prédominance respiratoire associée à un wheezing. La fibroscopie naso laryngée retrouvait une tumeur pédiculée, mobile avec les mouvements respiratoires, éxophytique et framboisée au niveau de la paroi postérieure de la trachée visible à travers l’orifice glottique. Le reste de l’examen était normale. Les résultats des examens biologiques étaient normaux. L’exploration fonctionnelle respiratoire retrouvait un syndrome mixte à prédominance obstructif avec un VEMS à 20%. La tomodensitométrie cervico thoracique objectivait un processus tumoral, tissulaire de 52mm x 14 mm, aux dépens de la paroi postérieure de la trachée, obstruant 50% de la lumière trachéale et située à 80 mm du plan des cordes vocales ( Figure 1).
Figure 1 : Scanner cervicale en coupe axiale montrant une tumeur pédiculée sur la paroi postérieure de la trachée cervicale
Pour l’exérèse tumorale, nous avons opté pour une voie d’abord par trachéotomie sous anesthésie locale première. Puis, en collaboration avec les équipes d’anesthésistes, une sonde d’intubation orotrachéale de petit calibre était mise en place sous anesthésie générale, guidée à travers l’orifice de trachéotomie, le ballonnet gonflée en aval de la tumeur afin de prévenir l’éventuelle inondation bronchique par l’hémorragie au cours de l’exérèse. Après exérèse tumorale à la pince et hémostase à la pince bipolaire, une canule trachéale à ballonnet était mise en place. Les suites opératoires immédiates étaient simples avec décanulation au 4ème jour. L’aspect histologique de la pièce opératoire était en faveur d’une lésion papillomateuse malpighienne.
Figure 2 : aspect histologique de la lésion papillomateuse vue au microscope optique.
Le contrôle clinique à 2 ans post opératoire ne retrouvait pas de récidive, la bronchoscopie était normale.
Discussion
Les papillomes respiratoires sont les plus fréquents des tumeurs bénignes des voies respiratoires [3]. D’après des études, la localisation laryngée est la plus fréquente de ces papillomes, les papillomes trachéaux ne représentent que 5% des cas [3,4]. Ces formes ont été décrites, dans la majorité des cas, chez l’enfant représentants une localisation secondaire ou une extension d’une papillomatose laryngée. Les papillomes trachéaux de l’adulte ont été rapportés chez les adultes de la troisième à la quatrième décennie [4] comme pour notre patient. Une infection virale par le papilloma virus humain (HPV) du type 6 ou 11 a été prouvée comme étant responsable de l’apparition de ces tumeurs bénignes des voies respiratoires [3,5]. Ceci par la mise en évidence de l’ADN virale par les techniques d’immunohistochimie et de la biologie moléculaire [6]. Le mode de transmission du virus diffère chez l’enfant et chez l’adulte. Chez l’enfant, l’HPV est acquis lors du passage au niveau de la filière génitale [3,4] soit par voie transplacentaire sur l’observation de papillomes respiratoires sur des enfants nés par césariennes [6]. Chez l’adulte, une étude sur cas témoin a rapporté que les patients porteurs d’infection par HPV avaient plus de partenaires et des rapports oro génitaux que les patients témoins [7]. Mais la contamination peut se faire à la naissance, et le virus peut rester quiescent pendant plusieurs années pour se manifester à l’âge adulte [8]. Le reflux gastro œsophagien a été incriminé comme facteur d’activation de ces virus quiescents [9]. Chez certains professionnels de santé, un cas de papillome trachéal par inhalation de vapeur au cours du traitement des condylomes par laser a été rapporté [10]. Mais dans la plupart des cas, le mode de transmission des papillomes respiratoires reste inconnu [3]. Notre patient n’avait pas d’antécédent de rapport oro génitaux ni de partenaires multiples, il présentait un papillome trachéale primitive situé loin du larynx.
La difficulté du diagnostic devant une dyspnée obstructive a été souligné par les auteurs du fait de la non spécificité du tableau clinique [11, 12]. En effet, le caractère obstructif et sifflante de la dyspnée pourrait égarer le diagnostic vers un asthme comme le cas de notre patient, d’où l’intérêt d’un examen laryngé et trachéoscopique devant ce symptôme. Les formes très évoluées peuvent obstruer complètement la trachée, exposant ainsi le patient à une asphyxie aigüe. Il n’existe pas de sérologie pour l’identification de l’HPV [10]. La preuve de l’infection par ce dernier s’obtient par la mise en évidence de l’ADN viral par les techniques d’immunohistochimie et de la biologie moléculaire [10, 13]. Cette méthode permet de connaitre le type du virus et d’en suspecter la possible dégénérescence maligne. En effet, les HPV de type 16, 18, 31, 33, 35, 39, 45, 51, 52, 56, 58, 59, 68, 73 et 82 sont responsables de la survenue de tumeurs malignes. À défaut de cette technique, comme notre cas, l’examen anatomo pathologique de la pièce opératoire permet d’avoir un aspect caractéristique de l’origine virale de la tumeur et de confirmer sa nature bénigne [12].
Le traitement du papillome trachéal est chirurgical et se fait par voie endoscopique avec exérèse tumorale par laser CO2 [12]. Cette exérèse tumorale a pour but de libérer la voie aérienne. Cette technique nécessite une collaboration multidisciplinaire entre le chirurgien et l’anesthésiste qui assurera la ventilation du patient par une sonde de plus petit calibre pouvant dépasser la tumeur lors de l’intubation trachéale. Cependant, une exérèse tumorale par voie de trachéotomie avec contrôle visuelle peut être proposée selon le plateau technique. Le vaccin contre l’HPV permet également une prévention de la survenue de cette pathologie. Les traitements anti viraux institués en post opératoires permettent d’éviter les récidives qui sont fréquentes sur ces tumeurs bénignes [3]. Ceci justifie une surveillance clinique et bronchoscopique de ces patients. Aucun consensus sur le rythme de suivi n’a été établi mais nous proposons un contrôle tous les 6 mois pendant 2ans puis tous les ans pendant 5 ans.
Conclusion
Les papillomes de localisations trachéales sont rares, il s’agit du premier cas rapporté à Madagascar. La clinique n’est pas évocatrice mais un examen laryngé et trachéal devrait être indiqué devant toute dyspnée obstructive pour éliminer une tumeur trachéale. Le traitement n’est pas sans risque et la surveillance clinique et bronchoscopique guètent la récidive.
REFERENCES
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