Sida : une nouvelle stratégie thérapeutique bientôt à l’essai en France
Pour la première fois en France, un nouveau concept thérapeutique associant une immunothérapie spécifique anti-VIH au traitement antirétroviral, va être évalué chez des patients infectés par le virus du sida d'ici la fin de l'année.
Cette stratégie repose sur l’idée qu’un traitement immunothérapeutique pourrait amplifier la restauration du système immunitaire observée sous trithérapie.
Le but est de stimuler les défenses immunitaires cellulaires de patients séropositifs qui reçoivent déjà une triple association d’antirétroviraux et qui, du fait de ce traitement, présentent une charge virale indétectable.
Induire une réponse cellulaire semble aujourd’hui être une stratégie indispensable contre le VIH notamment du fait que ce redoutable agent pathogène se répand dans l’organisme essentiellement par transmission directe du virus des cellules infectées aux cellules saines et que l’on ait découvert la présence de cellules T cytotoxiques (CTL) spécifiques du virus chez des personnes exposées au VIH mais non infectées
“L’hypothèse que nous allons tester est qu’une immunisation spécifique contre le VIH chez des personnes sous traitement antirétroviral et dont la charge virale est indétectable pourrait susciter une réponse immunitaire suffisante pour empêcher un phénomène de rebond - l’explosion de la charge virale plasmatique - lorsque les médicaments antirétroviraux sont interrompus”, indique à (caducee.net) le Pr Brigitte Autran, immunologiste à l’hôpital Pitié-Salpétrière (Paris).
La nouvelle approche thérapeutique vise donc à stimuler une réponse cellulaire anti-VIH, autrement dit la production de cellules capables de spécifiquement détruire les cellules infectées. Pour y parvenir, il est nécessaire que les antigènes du VIH soient exprimés dans les cellules de l’individu.
La stratégie utilisée consiste à utiliser comme vecteur de ces gènes étrangers viraux un vecteur, en l’occurrence un virus animal génétiquement manipulé dans le génome duquel de nombreux gènes du VIH ont été insérés.
Il s’agit des “gènes codant pour l’enveloppe virale et la capside (core), ainsi qu’une partie des gènes de la transcriptase inverse et ceux de la protéine régulatrice nef. Ce virus recombinant, élaboré par la firme Virogenetics, filiale de Pasteur Mérieux Connaught, exprimera au total une partie importante des principales cibles antigéniques de la réponse immunitaire”, précise le Dr Brigitte Autran.
Un virus du canari génétiquement modifié
Le virus recombinant qui sert de vecteur est le virus de la vaccine du canari : le canarypox. Le virus recombinant obtenu pénètre dans les cellules des personnes, avec pour conséquence d’induire la synthèse de protéines du VIH par ces mêmes cellules. Ces cellules infectées par le canarypox présentent ensuite à leur surface des fragments de ces protéines (épitopes du VIH), qui sont reconnues par le système immunitaire.
Au total, l’introduction du canarypox dans l’organisme des patients devrait stimuler l’immunité cellulaire anti-VIH des patients séropositifs, d’où le terme de ‘vaccination thérapeutique’. De fait, les préparations vaccinales qui seront testées chez les patients VIH+ seront les mêmes que celles conçues dans la perspective d’une vaccination préventive classique contre le sida lors des essais cliniques chez des volontaires séronégatifs.
Un pari scientifique
Dans la mesure où la charge virale remonte toujours après arrêt du traitement antirétroviral - dans un délai variant de quelques jours à trois mois maximum -, les investigateurs estiment qu’ils devraient rapidement savoir si cette vaccination thérapeutique est efficace.
Leur espoir est que les réponses immunes induites par cette approche immunothérapeutique parviennent à “réduire l’intensité du rebond ou à le retarder”.
Éviter la remontée de la charge virale signifierait qu’il serait possible de différer la réintroduction des traitements antirétroviraux. Cela permettrait aux patients VIH+ ne plus avoir l’obligation de poursuivre leur trithérapie à vie mais de pouvoir faire de longues pauses dans leur traitement, par d’ailleurs non dénué d’effets secondaires. Si tel était le cas, les informations obtenues seraient bien sûr très utiles en matière de vaccination préventive.
“La démarche consistant à associer vaccination thérapeutique et traitement antirétroviral n’est à l’heure actuelle qu’un pari, mais un pari dont les enjeux sont de la plus haute importance”, déclare le Dr Brigitte Autran.
Des résultats encourageants communiqués il y a trois semaines aux Etats-Unis, lors du congrès annuel organisé par le Pr Robert Gallo, laissent à penser que cette piste mérite vraiment d’être pleinement explorée.
Genoveffa Franchini et ses collaborateurs (National Cancer Institute, Bethesda, Maryland) y ont en effet rapporté que, comme chez l’homme, l’interruption d’un traitement antirétroviral chez des macaques infectés par le virus SIV, virus simien proche du VIH, entraîne une réapparition de la virémie plasmatique, ici dans un délai de 2 à 4 semaines. Ces chercheurs ont ensuite procédé à l’immunisation de sept macaques avec un virus de la vaccine recombinant exprimant des protéines du SIV. Cinq mois après l’arrêt de tout traitement antirétroviral, les sept macaques étaient toujours avirémiques.
Contraintes réglementaires
Trois essais multicentriques associant trithérapie et vaccination thérapeutique anti-VIH vont débuter d’ici la fin de l’année en France. Ils ont été acceptés par l’ANRS (Agence de Recherches sur le Sida) au printemps dernier, mais les investigateurs attendent toujours le feu vert ministériel pour débuter leur étude.
Les virus canarypox qui seront utilisés tombent sous le coup de la nouvelle loi de protection contre les organismes génétiquement modifiés, ce qui implique que les sites où se dérouleront ces essais cliniques aient préalablement reçu de l’Agence du Médicament les autorisations nécessaires pour utiliser des OGM à des fins de recherche clinique.
“C’est aujourd’hui chose faite, mais il manque encore l’aval du ministère qui doit donner son autorisation aux centres cliniques qui participeront à ces essais. Or on sait que ce virus aviaire n’est absolument pas dangereux. En effet, il n’est pas pathogène chez l’homme car incapable de se répliquer dans les cellules humaines. De plus, il y a eu depuis 1994 au moins cinq essais français utilisant des canarypox recombinants”, souligne le Dr Brigitte Autran.
“Le résultat, poursuit-elle, est ce que cet important projet de recherche clinique prend beaucoup de retard, alors même que nous étions très en avance sur tous les autres pays européens et sur les Etats-Unis. Contrairement à la France, il est possible dans ces pays de débuter de tels essais cliniques à tout moment. De fait, l’équipe du Dr David Ho du Aaron Diamond AIDS Research Center de New York a débuté une étude pilote sur 10 patients au stade de primo-infection depuis environ six mois”. Cette spécialiste ajoute cependant que “l’autorisation ministérielle devrait intervenir cet automne”.
200 patients participeront à 3 essais
Les essais français à venir porteront sur environ 200 patients VIH+ avirémiques traités par antirétroviraux. Cette cohorte comprendra des sujets au stade de primo-infection (un groupe) et en phase chronique de la maladie (deux groupes).
Dans le traitement de primo-infection et dans un des deux essais menés chez des patients en phase chronique, des patients recevront en plus du virus canarypox recombinant une immunothérapie non spécifique sous la forme d’injections d’interleukine 2 (IL-2). Certains patients recevront de plus des lipopeptides, des peptides synthétiques auxquels sont attachés des acides gras afin de faciliter la pénétration des antigènes vaccinaux dans les cellules.
Le troisième essai, qui concernera le second groupe de patients en phase chronique, ne comportera qu’un seul bras dans lequel le canarypox sera administré seul.
“Dans ces trois essais, précise le Dr Autran, il est prévu d’arrêter le traitement antirétroviral quatre mois après la vaccination par le canarypox recombinant et d’évaluer si une restauration des réponses immunitaires capable de retarder le rebond de la charge virale s’est installée”.
A cette occasion, de nouveaux examens de laboratoire, mis au point ces deux dernières années, seront effectués pour évaluer l’impact de cette stratégie thérapeutique innovante sur la réponse immunitaire des personnes ‘vaccinées’. Ils permettront d’évaluer la capacité des cellules T CD8 à sécréter de l’interféron gamma, un moyen plus fin de détecter les CTL, et de précisément déterminer la concentration des cellules T spécifiques des antigènes du VIH dans le sang.
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