Importante avancée dans la recherche du réservoir du virus Ebola
Des virologistes et des zoologistes travaillant à Bangui (République Centrafricaine) et en France viennent de franchir une étape importante dans la recherche du réservoir du virus Ebola en découvrant la présence du matériel génétique de l’agent pathogène chez de petits mammifères terrestres, en l’occurrence chez trois espèces de rongeurs et une musaraigne.
“Jusqu’à présent, l’hypothèse dominante était que le virus devait circuler dans des zones retranchées, au coeur la forêt équatoriale. Il devait être en contact avec des espèces rares, arboricoles, vivant sur le toit de la forêt, dans la canopée, comme les chauves-souris. Notre étude montre qu’il n’en est rien. Elle indique à l’inverse que le virus Ebola circule dans des zones en République Centrafricaine qui ne sont pas exclusivement forestières, ni même liées à la canopée”, indique à caducee.net Marc Colyn, chercheur au laboratoire d’éthologie-évolution-écologie du CNRS à la Station Biologique de Paimpont.
Ce zoologiste précise que “les espèces animales terrestres chez lesquelles des séquences génétiques du virus Ebola ont été détectées sont des espèces abondantes, dont l’une est savanicole, ce qui va à l’encontre de l’hypothèse admise jusqu’à présent”.
Ces résultats, à paraître dans le numéro daté de novembre de la revue Microbes and Infections, sont le fruit d’une étude multidisciplinaire réalisée par des équipes dirigées par Jacques Morvan de l’Institut Pasteur de Bangui, Marc Colyn de l’Université de Rennes-1, Vincent Deubel et Pierre Gounon de l’institut Pasteur à Paris.
Preuve moléculaire
La présence du virus Ebola a été recherchée dans les organes (rate, foie, rein) de 242 petits mammifères capturés au cours d’étude écologiques en République Centrafricaine.
Des séquences de la glycoprotéine et de la polymérase du virus ont été détectées chez sept animaux (une musaraigne et six rongeurs de trois espèces différentes) en utilisant à la fois la technique RT-PCR qui consiste à copier l’ARN viral en ADN avant d’amplifier le matériel génétique et l’hybridation moléculaire pour détecter la présence d’ARN du virus.
Le séquençage des produits d’amplification a révélé la présence d’un virus Ebola appartenant au sous-groupe Zaïre/Gabon.
Les chercheurs ont par ailleurs montré chez un rongeur la présence d’ADN viral, provenant de la conversion directe de l’ARN viral dans les cellules infectées.
Aucun virus vivant, ni aucun antigène viral, n’a été détecté dans les nombreux échantillons analysés. Au total, la présence du virus Ebola chez les petits mammifères a donc été établie sur la base de résultats moléculaires, et non pas virologiques ou sérologiques.
“Des éléments ressemblant à des nucléocapsides de virus Ebola ont été observées en microscopie électronique dans le cytoplasme de cellules spléniques chez un animal. La présence de fragments d’ARN ou d’ADN viral chez ces rongeurs semble indiquer que ces animaux ont été en contact avec le virus Ebola mais que ce dernier n’a pas persisté dans sa forme mature”, précise le Pr Vincent Deubel, chef de l’unité des arbovirus et fièvres hémorragiques virales à l’Institut Pasteur (Paris),
Tout ce passe si l’infection virale n’a pas été productive chez ces animaux qui ne peuvent donc pas être considérés comme des réservoirs du virus car incapables de transmettre l’infection à d’autres mammifères, des primates ou à l’homme.
Évolution virale et biogéographie
Les données obtenues montrent qu’il existe un sous-type de virus Ebola commun à la République Centrafricaine, au Congo Kinshasa et au Gabon, mais légèrement différent du sous-type isolé en Côte d’Ivoire.
“Or, fait remarquer Marc Colyn (Université de Rennes-1), des études biogéographiques ont récemment montré que la faune du bassin congolais était nettement différenciée de celle des régions d’Afrique de l’Ouest. Il apparaît donc que l’histoire évolutive du virus Ebola se calque sur l’évolution spatio-temporelle des faunes dans le quaternaire ”.
Veille écologique
L’identification de séquences génétiques du virus Ebola chez de petits mammifères devrait rapidement permettre de réorienter la recherche du réservoir de ce redoutable agent pathogène.
“Notre étude apporte des pistes nouvelles pour choisir des sites de veille sur la faune, en même temps qu’elle propose une nouvelle stratégie de détection du virus par des méthodes de biologie moléculaire et ultra-microscopiques. Trois sites sont prédésignés en République Centrafricaine car nous savons que des micro-mammifères y ont été en contact ave cle virus”, déclare Marc Colyn.
Selon lui, il importe d’organiser une étude écologique sur un suivi à long terme d’une même communauté de rongeurs et de musaraignes mais également de conduire, tous les mois, une étude épidémiologique chez ces animaux à la recherche du virus Ebola.
Une étude d’observation de la dynamique des communautés micromammifères, faisant notamment appel au piégeage d’animaux, est en cours depuis d’octobre 1998 pour apprécier la densité et la structure de ces communautés et repérer d’éventuels changements. La question est en effet de savoir s’il existe une pullulation d’une espèce, par exemple saisonnière, susceptible de jouer un rôle dans la survenue d’une épidémie de virus Ebola chez l’homme.
Marc Colyn se dit convaincu que “cette veille écologique et écologique est la seule approche qui nous permettra de réaliser une avancée significative” dans la compréhension du cycle biologique du virus Ebola, et donc dans l’identification de son réservoir qui représente encore aujourd’hui une véritable énigme.
A ce moment là, il faut espérer qu’il sera possible, à partir des données de la veille écologique, de réduire ou d’éviter le risque d’épidémie de fièvre hémorragique en adoptant des mesures préventives appropriées.
Source : Institut Pasteur (colloque ‘veille microbiologique et émergences’, 14 et 15 octobre 1999), Microbes and Infection, novembre 1999.
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