L’académie de médecine se penche sur le problème des drogues illicites
Aujourd’hui à l’académie nationale de médecine, une séance thématique a été consacrée à l’aspect sanitaire de l’utilisation en France des drogues illicites et à leurs répercussions sur la société. Différents orateurs (chercheurs, médecins, épidémiologistes) ont exprimé l’état des lieux sur la question, vue sous différents angles (aspects biologiques, sociologiques et psychiatriques). En fin de séance, l’académie a soumis un ensemble de recommandations à l’ensemble de l’assemblée plénière, la principale étant d’éviter à tout prix la banalisation du cannabis, dont la toxicité et l’accoutumance sont maintenant bien documentées, étant donné l’accroissement considérable de sa consommation parmi la jeunesse de notre pays.
Selon Roger Nordmann (Académie nationale de médecine et membre de la commission ‘Troubles mentaux-Toxicomanies’ de la dite académie), qui était modérateur de la séance thématique sur ‘les drogues illicites d’aujourd’hui et santé’, «deux faits majeurs justifiaient que ce thème soit mis à l’ordre du jour de la séance d’aujourd’hui: l’augmentation considérable de la consommation de cannabis en France et sa banalisation, surtout chez les jeunes».
La séance et les interventions orales ont été principalement consacrées aux aspects épidémiologiques concernant les drogues illicites en France, aux connaissances neurobiologiques et pharmacologiques de leurs effets, ainsi qu’aux conséquences en terme de santé et d’impact sur la société que leur absorption engendre. Les textes des différentes interventions, ainsi que les recommandations de l’académie clôturant la séance, seront publiés dans le bulletin de l’académie nationale de médecine daté d’aujourd’hui [Bull. Acad. Natle. Méd., 2002 ;186(2)].
La tenue de cette séance reposait également sur une expertise collective de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale, relative aux effets du cannabis sur la santé, réalisée en novembre 2001 (consultable sur le site de l’inserm)
Jean-Michel Costes (directeur de l’observatoire français des drogues et des toxicomanies) a évoqué l’ampleur de l’'épidémie’ de consommation de drogues illicites en France par quelques chiffres concernant le cannabis (les autres produits dits ‘nouveaux’ comme l’ecstasy, le crack et le LSD étant considérés comme ‘marginaux’ car concernant 3 à 7% seulement de la population): la moitié des jeunes et 20% des adultes sont des consommateurs de cannabis. Bien que souvent purement de type «récréatif» selon ses propres termes, le cannabis est consommé régulièrement (e.g. journellement) par 20% de jeunes.
Le cannabis n’est certes pas la substance causant le plus de dégâts sanitaires, mais depuis que l’on sait qu’il existe une «connivence», selon les propos de Jean Costantin (CHU Rouen), entre les systèmes cannabinergiques et opioïdergiques (expériences faites sur des souris dépourvues de récepteurs aux cannabinoïdes), il est important de considérer «que la grande majorité des toxicomanes à l’héroïne ont été préalablement des utilisateurs de cannabis».
Il a également été souligné le problème des doses du principe actif du cannabis (e.g. le delta9-tétrahydrocannabinol ou δ9-THC) car on voit apparaître depuis quelques années des huiles et autres résines à forte concentration en δ9-THC, souvent supérieures à 10%. Comme l’a souligné Patrick Mura (CHU Poitiers), «le problème est que le consommateur ne sait pas ce qu’il a », en parlant de ces produits qui, comme l’a rappelé Roger Nordmann, «ne sont plus exclusivement en provenance du Maroc, mais élaborés, entre autres,en France».
Jean-Pol Tassin (Collège de France) et Michel Hamon (Pitié-Salpêtrière, Paris), tous deux de l’INSERM, ont évoqué les données neurobiologiques des effets des cannabinoïdes sur le SNC, le premier en parlant de la dopamine (encore appelée l’amine du plaisir), qui participe au circuit dit de la récompense et qui est libérée en réponse aux différentes drogues, l’autre de la sérotonine (le médiateur de l’humeur), qui sous l’effet des drogues, est plutôt réprimée et concourt donc aux changements comportementaux et de l’humeur.
Les chercheurs admettent que les connaissances sont faibles dans le domaine de la neuropharmacologie du δ9-THC, mais que peut-être l’association entre un antagoniste des récepteurs aux cannabinoïdes avec un agent sérotoninergique pourrait constituer un traitement particulièrement efficace à l’addiction envers le cannabis et également vis à vis d'autres drogues comme l’héroïne.
Les éventuels effets thérapeutiques du cannabis ont également été évoqués (anti-nauséeux, stimulateur de l’appétit, SEP, glaucome) mais l’académie a précisé qu’aucune étude probante n’a permis d’évaluer l’efficacité thérapeutique de cette drogue (La Grande Bretagne et le Canada l’utilise en thérapeutique de manière très précise et encadrée, les Pays Bas l’autorise dans le cadre d’essais cliniques seulement) .
En conclusion, l’académie, devant d’une part l’augmentation et l’association des drogues illicites en France (sans compter les effets de l’appétence envers l’alcool, drogue licite, qu’elles provoquent) ainsi que de leurs dérivés plus fortement dosés en principe actif, et d’autre part face aux manifestations psychotiques, comportementales et organiques qu’elles provoquent, met en garde, dans son rôle consultatif, l’assemblée et l’opinion, sur leur banalisation et notamment celle du cannabis.
L’académie préconise la détection de l’usage de drogues à tous les niveaux (scolaire, rave-parties, accidents de la circulation routière) et incite à utiliser toutes les mesures susceptibles de réduire l’offre de drogues illicites (information, renforcement et application des lois existantes).
Elle propose une prise en charge précoce des consommateurs, notamment des jeunes qui sont des cibles privilégiées, à l’aide d’un dialogue non culpabilisant, ainsi qu’un développement de la recherche sur les altérations neurobiologiques consécutives à la prise des substances, isolées ou en association.
Source : Académie Nationale de Médecine 19 février 2002, Paris
Descripteur MESH : Médecine , Cannabis , France , Médecins , Santé , Cannabinoïdes , Thérapeutique , Recherche , Récompense , Rôle , Population , Sérotonine , Plaisir , Paris , Neuropharmacologie , Tétrahydrocannabinol , Maroc , Absorption , Huiles , Glaucome , Face , Expertise , Dopamine , Crack , Canada , Association , Accidents de la circulation , Accidents