'Contre le monopole de Myriad Genetics sur les tests de prédisposition aux cancers du sein et de l'ovaire'
C'est sur ce titre volontairement 'guerrier' que l'Institut Curie a réuni hier rue Lhomond la Presse. Un institut de recherche va tenter, pour la première fois, de contester le monopole obtenu par une société américaine sur un test de dépistage utilisant des séquences du génome humain.
L'Institut Curie, soutenu par les ministères de la recherche et de la santé ainsi que par de nombreux autres organismes de recherche dont l'Institut Gustave Roussy, a décidé d'engager auprès de l'Office Européen des Brevets (OEB) une procédure d'opposition contre le brevet européen EP 699 754 délivré le 10 janvier dernier à la société américaine de biotechnologie Myriad Genetics.
Ce brevet, concernant un test diagnostique de prédisposition génétique aux cancers du sein et de l'ovaire associés au gène BRCA1, fera l'objet d'un mémoire en opposition qui sera déposé avant le 9 octobre prochain par l'Institut Curie et ses partenaires, date limite du recours contre le brevet auprès de l'OEB.
5 à 10% des cancers du sein et de l'ovaire seraient dus à une prédisposition génétique majeure. Parmi les gènes de prédispositions à ces cancers, les gènes de la famille BRAC (pour Breast Cancer) sont reconnus comme responsables de 95 % des formes familiales héréditaires de cancers du sein et de l'ovaire. Ils existent d'autres gènes de prédisposition, comme les gènes p53 et ATM ; d'autres gènes sont encore à découvrir.
« Par sa portée excessivement large, le brevet délivré par l'OEB à Myriad Genetics lui confère un monopole abusif d'exploitation des tests de prédisposition aux cancers du sein », a déclaré dans un communiqué de presse Roger-Gérard Schwartzenberg, ministre de la recherche.
En effet, ce brevet « couvre sans restriction toute méthode utilisant une comparaison de la séquence d'une personne à risque avec la séquence de référence décrite par le brevet, quelle que soit la méthode utilisée ».
L'Institut Curie ajoute que la seule utilisation de la séquence décrite dans le brevet pour réaliser d'autres méthodes de comparaison à des fins diagnostiques de prédisposition aux cancers est désormais interdite à tout autre laboratoire sous peine de poursuites pour contrefaçon.
« Ce monopole d'exploitation bloque les efforts des autres laboratoires de recherche, freine la recherche en aval et limite l'accès des tests aux familles », a déclaré le docteur Dominique Stoppa-Lyonnet, chef du service de génétique oncologique à l'Institut Curie.
Le monopole d'exploitation engendré par ce brevet sur toutes les méthodes diagnostiques à venir basées sur cette méthode « freinerait » la mise au point de nouveaux tests et « constituerait une entrave » à l'accès au dépistage de prédispositions aux cancers pour tous.
De plus, la société Myriad Genetics ne souhaite accorder aucune licence d'exploitation de ses tests. Elle oblige donc de facto les laboratoires d'analyse génétique européens (dont 17 en France) à envoyer leurs prélèvements dans « l'usine à tests » de Myriad à Salt Lake City , comme le souligne Gilbert Lenoir, directeur de la recherche à l'IGR.
De plus, poursuit M Lenoir, « l'envoi de prélèvements d'échantillons de personnes à risque à un unique destinataire (e.g. Myriad Genetics) conduira celui-ci à détenir la seule banque de données génétique au monde lui permettant par la suite d'étendre son hégémonie dans la mise au point d'autres tests de diagnostic ».
Outre la perte de contrôle sur l'expertise et la formation des médecins chercheurs européen que ce monopole suscitera, il faut ajouter le coût élevé de ces tests (un test de recherche de mutation familiale effectué par Myriad est facturé 18000 Francs, contre un coût estimé de 5000 Francs dans les laboratoires français).
Cette logique de marché sur les tests de dépistage va également à l'encontre de la politique de santé publique en France et dans la majorité des pays européens, dans lesquels la recherche est intimement liée aux études cliniques et à la prise en charge des personnes.
« Afin de se donner les moyens juridiques de contrer le monopole annoncé de Myriad Genetics » , a annoncé Gilbert Lenoir, il a fallu trouver les arguments contradictoires et les failles du brevet déposé sur les test de prédisposition aux cancers liés au gène BRCA1.
Un article, paru en juin 2001 dans le Journal of Medical Genetics et écrit par le docteur Dominique Stoppa-Lyonnet, a montré que la technique de séquençage direct utilisée par Myriad Genetics, ne permet pas de détecter 10 à 20% des mutations attendues, notamment les délétions de grandes tailles.
Gilbert Lenoir a également décrit un historique du séquençage du gène BRCA1 localisé sur le chromosome 17. Il a clairement précisé que à partir de la fin des années 80, un consortium de laboratoires de recherche publique internationale, (dont les futures équipes de recherche qui allaient rejoindre Myriad dans l'Utah), a collaboré à la mise en évidence des gènes de prédisposition du cancer du sein dans les familles à risque, notamment le gène BRCA1.
Il ne restait en 1994 qu'à réaliser le séquençage final du gène, ce que les équipes de Myriad ont fait et conclu par des dépôts successifs de brevets. Or dans ces premières demandes de brevet , la séquence génétique comportait de nombreuses erreurs. De plus, il y a eu « une appropriation totale des découvertes concernant BRCA1 par Myriad et donc la valeur de leur test dépend étroitement des données recueillies par le consortium », précise Gibert Lenoir.
Les axes de recours contre Myriad décrits par M Jacques Warcoin, conseil en propriété industrielle, s'appuieront donc sur le manque de description du gène et sur le défaut d'activité inventive, une des conditions principales pour l'obtention d'un brevet.
La division d'Opposition de l'OEB devra donc dire que « pour avoir déposé des séquences non utilisables, le brevet est insuffisamment décrit, dépourvu de caractère industriel et à tout le moins dépourvu d'activité inventive au regard de l'ensemble de l'état de la technique qui est constitué, notamment, de la totalité des travaux réalisés par le consortium public international».
Le dossier d'opposition (recours) déposé par l'Institut Curie pourrait, si cette démarche aboutissait, constituer une première dans le débat chronique entre l'Europe et les Etats-Unis sur le droit ou non à la brevetabilité du vivant et du génome humain en particulier.
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