Cannabis thérapeutique : les académiciens demandent la mise en place d’essais cliniques randomisés

Cannabis thérapeutique : les académiciens demandent la mise en place d’essais cliniques randomisés Une expérimentation en cours (2021-2023) sur le cannabis dit « thérapeutique » a été proposée, d’une façon toute exceptionnelle, par un comité scientifique spécialisé ; elle a été validée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé. Elle porte sur cinq pathologies : les douleurs réfractaires aux thérapies disponibles ; certaines formes d’épilepsie sévères et pharmaco résistantes ; les soins de support en oncologie ; les situations palliatives ; la spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.

Les Académies nationales de médecine et de pharmacie rappellent que l’expérimentation en cours visant à justifier l’usage thérapeutique du cannabis déroge aux exigences méthodologiques, sécuritaires et éthiques qui régissent l’évaluation de tout candidat médicament1. Par un arrêté du 16 octobre 2020 qui fixe « les spécifications des médicaments à base de cannabis », ceux-ci se sont trouvés dispensés d’un essai clinique randomisé, alors qu’on sait qu’il est le seul à même d’évaluer d’une façon satisfaisante la balance bénéfices/risques d’un candidat médicament, dans l’intérêt des patients. Une autre anomalie est liée au fait que l’expérimentation ne concerne pas des substances pures, mais des produits à base de fleurs séchées de cannabis et d’extraits aux composants multiples.

Les Académies nationales de médecine et de pharmacie rappellent que la balance bénéfices/risques a été évaluée par des essais cliniques randomisés en double insu pour les deux spécialités pharmaceutiques qui ont bénéficié d’une autorisation de mise sur le marché (A.M.M.). L’une, correspondant à du cannabidiol pur, est commercialisée, alors que l’autre, qui associe du tétrahydrocannabinol à du cannabidiol ne l’est toujours pas en France, 6 ans après l’obtention de l’A.M.M. ; son service médical rendu étant jugé insignifiant. Des cannabinoïdes ont été utilisés précédemment à l’étranger dans le traitement de la douleur, après des essais cliniques randomisés en double insu, qui avaient permis de conclure de façon positive. Il importe, cependant, de prendre en compte une méta-analyse récente, qui concerne 32 de ces essais cliniques randomisés, faisant appel au cannabis médical ou aux cannabinoïdes. Les données ont porté sur plus de 5 000 patients atteints de douleurs chroniques, principalement non cancéreuses. Il n’a été trouvé, avec des niveaux de preuve modérés à élevés, qu’une augmentation jugée « faible à très faible » de la proportion de patients bénéficiant d’une amélioration importante de leur douleur, de leur état physique et de la qualité de leur sommeil. Quant aux effets indésirables, ils étaient soit transitoires, soit majorés au — delà de trois mois de traitement2.

Cette méta-analyse ne fait que confirmer les données rapportées de façon récurrente dans des analyses internationales portant sur le traitement des douleurs neuropathiques, qui concluaient à la très faible efficacité des cannabinoïdes vis-à-vis des douleurs chroniques3.

Concernant l’évaluation de l’efficacité thérapeutique de médicaments potentiels, un communiqué tri- académique4 a, en 2020, déclaré : « En période de pandémie aussi bien qu’en situation ordinaire, les règles de l’évaluation critique des méthodes et des résultats doivent s’appliquer. Il en est de même de la déontologie scientifique et médicale, du respect de l’intégrité scientifique et de l’éthique de la communication des résultats ». Cette position rejoint l’avis publié en 2020 par le Centre national de la recherche scientifique : « On ne peut que s’inquiéter que le choix d’un traitement puisse être décidé par l’opinion publique sur la base d’une pétition ou d’un sondage et que des décisions politiques puissent être prises en se fondant sur des croyances ou des arguments irrationnels, faisant uniquement appel à la peur ou l’émotion ».

Les Académies de médecine et de pharmacie rappellent également que l’industrie pharmaceutique mondiale a testé sans succès, ces dernières années, de nombreux cannabinoïdes de synthèse, à la recherche d’effets antalgiques et anti-inflammatoires.

Elles considèrent que l’expérimentation en cours à propos des éventuels effets thérapeutiques du cannabis

devrait s’abstraire de pressions médiatiques ou politiques qui trompent les attentes des patients.

Les Académies de médecine et de pharmacie :

-  estiment indispensable que les autorités réglementaires (Agence Nationale de Sécurité Sanitaire du Médicament et des produits de santé et Haute Autorité de Santé) puissent, le moment venu, analyser en toute indépendance scientifique les données du (ou des) essai(s) clinique(s) afin de pouvoir, comme elles le font habituellement pour tout médicament, déterminer la balance bénéfices/risques ainsi que le service médical rendu et l’amélioration du service médical rendu pour les patients ;

-  recommandent, en cas de mise à disposition du cannabis à des fins thérapeutiques, que le suivi des effets indésirables et des cas d’abus et/ou de détournement d’usage soit assuré, comme il est de règle, par les Centres Régionaux de Pharmacovigilance et Centres d’Évaluation et d’Information sur la Pharmacodépendance-Addictovigilance.

 

Académie de médecine et de pharmacie

1 — Communiqué de l’Académie nationale de pharmacie concernant l’usage médical du cannabis (24 novembre 2020).

2 — Wang L. et coll. : Medical cannabis or cannabinoids for chronic non-cancer and cancer related pain: a systematic review and meta-analysis of randomised clinical trials. BMJ 2021; 373: n1034. doi.org/10.1136/bmj.n1034.

3 - Stockings E. et coll. : Cannabis and cannabinoids for the treatment of people with chronic noncancer pain conditions: a systematic review and meta-analysis of controlled and observational studies. Pain 2018:1932-1954.doi.org/10.1097/j.pain. (0) 121 293.

4 — Communiqué de l’Académie Nationale de Médecine, de l’Académie Nationale de Pharmacie, de l’Académie des Sciences

« Essais cliniques au cours de la pandémie Covid-19 : Cibles thérapeutiques, exigences méthodologiques, impératifs éthiques » (29 mai 2020).

Note : rappelons que deux médicaments, l’un à base de CBD (Epidyolex®), l’autre constitué par une association de THC et de CBD (Sativex®) ont obtenu dans les conditions habituelles leur autorisation de mise sur le marché français. L’Epidyolex® est prescrit en thérapeutique adjuvante dans des formes rares d’épilepsie ; s’il montre un service médical rendu (SMR) important, il présente une amélioration mineure de ce service médical (ASMR IV) comparativement aux traitements de référence. Quant au Sativex®, destiné au traitement symptomatique d’appoint des manifestations de la spasticité liée à une sclérose en plaques chez des pat ients insuffisamment soulagés par les traitements antispastiques de référence, son SMR est faible et son ASMR inexistant (ASMR V).

Crédit photo : DepositPhotos

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