« EQUILIBRES » : l’expérimentation qui exaspère les infirmiers libéraux
Le 12 juillet dernier, la ministre de la Santé a pris un arrêté ministériel autorisant l’expérimentation dite « EQUILIBRES » visant à rémunérer les infirmiers libéraux de façon forfaitaire, au temps passé auprès des patients dans le cadre de soins infirmiers à domicile. Cette décision prise sans concertation est perçue comme une nouvelle provocation par les syndicats, qui ne cachent plus leur exaspération face aux méthodes et à l’inconsistance du gouvernement.
Selon le journal officiel, l’objectif de cette expérimentation est d’impulser un changement de paradigme en passant d’un cadre réglementaire orienté par et vers la production d’actes de soins à un système focalisé sur les patients, leur autonomie et leur qualité de vie au domicile. Les infirmiers libéraux participants percevront une rémunération de 53,94 € pour chaque heure passée auprès de leur patient, quels que soient les actes pratiqués, les distances parcourues et la journée dans la semaine.
Cette expérimentation portée par l’association « Soignons Humain » est programmée pour une durée de 3 ans.
Le modèle hollandais est fondé sur le salariat
Ce modèle de rémunération s’inspire du système hollandais et notamment de la technique Buurtzorg créée par Jos de Blok dans lequel les infirmiers à domicile travaillent en autonomie, de manière coopérative et non minutée. Mais contrairement à la France, ce modèle repose sur le salariat des infirmiers participants, ce qui pour les organisations professionnelles est incompatible avec l’exercice libéral de la profession d’infirmier.
Les syndicats appellent au boycott
La Fédération Nationale des Infirmiers (FNI) et le Syndicat National des Infirmières et Infirmiers Libéraux (SNIIL) ont rapidement réagi à cette annonce en appelant leurs adhérents à boycotter cette expérimentation.
Pour la FNI, « La rémunération forfaitaire au temps passé sur la totalité de l’activité existe déjà, et il n’est nul besoin de l’expérimenter : c’est le salariat ! La FNI juge le salariat très honorable pour les centres de santé, mais cela ne saurait relever du cadre d’exercice libéral. Le statut “gris”, libéral, mais rémunéré au forfait intégral est une chimère et induirait une distorsion de concurrence que les IDEL ne sont pas prêts d’accepter. »
Dans un communiqué le SNIIL détaille les obligations et les risques encourus par les participants.
• Rémunération exclusive à partir d’un relevé du temps passé auprès du patient élaboré sur la base d’un plan de soins, ce qui revient, dans les faits, à accepter, de nouveau, l’introduction de « Temps Minimum Requis » pour réaliser les actes infirmiers…
• La rémunération de 53,94 €/h dont on ne connaît pas l’assiette qui sera soumise aux cotisations sociales ne variera pas selon le jour (pas de supplément férié ou dimanche) et couvrira tout à la fois les actes infirmiers (quels qu’ils soient), le temps de déplacement, les kilomètres effectués, la coordination externe ou interne (1 réunion minimum/15 jours), et les tâches administratives…
• L’infirmier aura obligation d’évaluer le patient tous les 3 mois au moyen du référentiel standardisé Omaha et cette évaluation sera transmise à l’Assurance Maladie pour suivre « les résultats obtenus par l’intervention des professionnels »…
• Et ne dispose d’aucune information sur la mise en place concrète de l’expérimentation : combien de patients/jour minimum et maximum ? Quid de la vérification par les Caisses du relevé de temps ? Et, surtout, quid du respect du choix de l’infirmière par le patient ?
• L’infirmier sera contraint de suivre 15 h de formation minimum auprès des porteurs du dispositif et s’engage à être accompagné par un coach 2 h/semaine… sans que ceci n’entre dans le cadre du DPC obligatoire
• L’infirmier devra utiliser un logiciel spécifique « dont les coûts sont à prendre en charge par le cabinet infirmier »
• Il pourra se voir « demander une participation aux frais » selon les dispositifs mis en place
• Il pourra être évincé du dispositif sur simple demande du comité de suivi en cas d’« écart manifeste et répété par rapport aux engagements pris »… sans savoir ce qu’il adviendra de sa patientèle
Le SNIIL se demande même si finalement, Agnès BUZIN, ne chercherait pas à imposer le salariat à tous les infirmières et infirmiers libéraux de France.
Agnès BUZIN exaspère les syndicats infirmiers
C’est un doux euphémisme de dire que depuis la nomination d’Agnès BUZIN à la tête du ministère de la Santé, les relations entre les syndicats infirmiers et le gouvernement sont marquées du sceau de l’incompréhension. Après avoir été ignorés à l’occasion du plan ma santé 2022, les syndicats perçoivent le feu vert donné à cette expérimentation comme un coup de poignard dans le dos dont ils se seraient bien passés.
« La FNI exprime sa vive exaspération à l’égard du ministère de la Santé avec lequel il est difficile de travailler et de construire dans la confiance et la transparence. La politique du “en même temps” c’est-à-dire d’une chose et son contraire à la fois a une limite : celle de la cohérence ».
Le SNIIL est sur la même longueur d’onde. Il s’insurge contre l’absence de concertation préalable ni avec les syndicats, ni avec les URPS Infirmières des régions concernées et dénonce l’incohérence de la politique gouvernementale qui d’un côté encourage la constitution d’équipes de soins primaires pluriprofessionnelles et de l’autre fait la promotion d’une expérimentation monocatégorielle.
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