Cancer de la prostate, suivi des patients en 2016, chronicisation

95 % des hommes diagnostiqués avec un cancer de la prostate auront une espérance de vie supérieure à 15 ans. Si cette maladie continue de tuer, la prise en charge actuelle permet de sauver de plus en plus de vies et, pour ceux qui ne sont pas guéris, de repousser l'échéance fatale. Cette "chronicisation du cancer" modifie le regard sur la maladie mais également le suivi des patients.

Avec plus de 50 000 nouveaux cas par an, "le cancer de la prostate est le premier cancer masculin en incidence et la seconde cause de mortalité par cancer après le cancer du poumon", note le Pr Luc Cormier, chirurgien urologue au CHU Dijon-Bourgogne. Il y a néanmoins un écart important entre l'incidence, qui est très élevée et la mortalité, aujourd'hui assez faible. Cet écart est principalement dû à deux causes :
- le diagnostic précoce de ce cancer
- les progrès thérapeutiques qui ont permis d'allonger sensiblement la survie des patients. 

Ainsi l'espérance de vie d'un homme ayant un cancer métastatique est de l'ordre de 5 à 6 ans. Mieux encore, l'espérance de vie d'un patient atteint d'un cancer métastatique résistant à la castration est passée de moins d'un an à presque 3 ans.

Le cancer, une maladie chronique ?

Peut-on parler de chronicisation du cancer ? Le terme a présentement le vent en poupe. Il définit le passage d'une maladie rapidement fatale à une maladie avec laquelle on peut vivre pendant de longues années.
Plusieurs situations se présentent.

Les cancers identifiés mais non traités


La "surveillance active" consiste à ne pas traiter immédiatement un cancer lorsque celui-ci semble présenter un faible risque de progression. La surveillance active est proposée soit à des patients jeunes touchés par des cancers de petite taille et de faible agressivité, soit à des patients âgés dont l'état de santé et l'espérance de vie ne justifient pas qu'on leur inflige un traitement lourd. Le suivi régulier des marqueurs biologiques (évolution du PSA), associé à l'imagerie (IRM) et éventuellement des biopsies, permettent d'attendre avant de proposer éventuellement un traitement (si la maladie évolue). Les études sont rassurantes et concluent que la surveillance active n'entraîne pas de "perte de chance" (étude ProtecT[2]). Petit bémol : au-delà de 10 ans de suivi, la proportion de cancers métastatiques est un peu plus élevée dans le bras "surveillance active" [3]. Cette observation suggère de ne pas poursuivre trop longtemps la "surveillance active" chez les sujets jeunes.

Les cancers traités et guéris
Chirurgie, radiothérapie, avec ou sans chimiothérapie permettent à de nombreux patients de vivre pendant des années avec un taux de PSA effondré. Si au bout de 10 ans le PSA reste faible, on peut parler de guérison. Les patients vont vivre avec les éventuelles séquelles des traitements mais le cancer primitif a été éradiqué.

Les cancers traités mais non guéris

La maladie sera sous contrôle, asymptomatique, pendant une durée plus ou moins longue. Puis des signes biologiques, des signes radiologiques et enfin des signes cliniques vont indiquer qu'elle redémarre. "Pour ces patients, estime le Pr Cormier, il est justifié de parler de maladie chronique". La période peut durer 10 ans, 15 ans ou plus, elle nécessite un suivi régulier, réalisé conjointement par l'urologue, le radiothérapeute, l'oncologue… Nombre de ces patients finiront par mourir de "mortalité compétitive" c'est-à-dire d'une autre maladie que leur cancer. D'autres en revanche verront leur cancer évoluer vers des formes métastatiques ou des formes résistantes à la castration (le cancer continue d'évoluer malgré le traitement anti testostérone). A ce stade, diverses complications (douleurs, ostéoporose…) peuvent apparaître.

L'urologue pivot du suivi des patients chroniques


"Si le suivi des cancers digestifs ou broncho-pulmonaires est le fait d'équipes pluridisciplinaires, l'urologue reste en revanche le chef d'orchestre, le véritable pivot du suivi des cancers de la prostate", précise le Pr Cormier. C'est lui qui prendra en charge les complications de la maladie, ainsi que les effets secondaires des traitements qui, pour la plupart, touchent la sphère urologique (problèmes mictionnels, dysfonctions érectiles, atteintes rénales…). « Les RCP, de par les avis multidisciplinaires qui y sont délivrés, représentent des mises au point régulières et indispensables dans la prise en charge personnalisée des patients ».

Pour le patient métastatique, sous traitement hormonal, le suivi a connu d'importantes évolutions. De nouveaux médicaments sont apparus, en particulier les hormones de seconde génération ou le radium radioactif (radium 223). Chaque nouveau traitement a permis de gagner 10, 15 ou 20 mois d'espérance de vie. "On s'est rendu compte que l'hormonothérapie, qui est le traitement de référence à ce stade de la maladie, n'est pas anodine. Elle a une toxicité osseuse, une toxicité cardiovasculaire et métabolique, elle peut aussi entraîner des troubles psychologiques". Il appartient donc à l'urologue d'intégrer tous ces paramètres dans sa prise en charge, de prévoir un bilan cardiaque, un traitement de l'ostéoporose et des conseils hygiéno-diététiques afin que la qualité de vie de ces patients soit maintenue la meilleure possible. En associant ces traitements, en les utilisant de manière successive, on finit par ajouter jusqu'à 7 ou 8 ans d'espérance de vie.

L'avenir entre progrès et interrogations
La surveillance active a permis de diminuer le risque de surtraitement et d'adapter les stratégies thérapeutiques à l'âge du patient, à son état général et au type de tumeur.

Les nouveaux traitements offrent une survie très améliorée aux patients métastatiques et la prise en charge des effets secondaires de ces traitements permet de maintenir le plus longtemps possible une qualité de vie acceptable [4].
La pratique du PSA favorise les diagnostics précoces et ce faisant augmente le taux de guérison. En parallèle, le dépistage a permis de réduire de façon importante le nombre de cancers de la prostate diagnostiqués au stade métastatique. Ils étaient monnaie courante il y a une vingtaine d'années.

Toutefois, la polémique sur le dépistage du cancer de la prostate, a remis en cause le bienfondé du PSA et conduit à une baisse de la pratique de cet examen. En particulier Outre-Atlantique [5].

"On observe aux Etats-Unis que l'incidence du cancer de la prostate diminue", note le Pr Cormier. Or elle n'a aucune raison de diminuer. Cette baisse traduit probablement un sous diagnostic de la maladie. "La communauté urologique se demande si nous n'allons pas vers une recrudescence de cancers découverts à un stade tardif", redoute le spécialiste.


Le cancer de la prostate en chiffres
- 66 ans : âge médian de diagnostic du cancer de la prostate6
- 83 ans : âge médian au décès
- 8 876 décès par cancer de la prostate estimés en 2012 sur 56 841 nouveaux cas attendus

Pr Luc Cormier, urologue, CHU de Dijon-Bourgogne
Association Française d'Urologie


[2] 10-Year Outcomes after Monitoring, Surgery, or Radiotherapy for Localized Prostate Cancer (étude ProtecT). NEJM, 2016 L'étude ProtecT a suivi 1 643 hommes de 50 à 69 ans auxquels un cancer localisé de la prostate venait d'être diagnostiqué (PSA puis biopsie). Ils ont été répartis au hasard dans 3 groupes supposés leur offrir les mêmes chances : chirurgie, radiothérapie avec hormonothérapie ou surveillance active. Au bout de 10 ans les chercheurs ont constaté que les taux de mortalité étaient les mêmes dans les trois groupes. A noter tout de même que la moitié des patients du groupe surveillance active ont fini, au cours des 10 années de suivi, par se voir proposer un traitement en raison de l'évolution de leur tumeur.
[3] Fifteen-year Outcomes Following Conservative Management Among Men Aged 65 Years or Older with Localized Prostate Cancer, european Urology 68 (2015)
[4] Abiraterone and Increased Survival in Metastatic Prostate Cancer, NEJM, may 2011. Abiraterone acetate plus prednisone versus placebo plus prednisone in chemotherapy-naive men with metastatic castration-resistant prostate cancer (COU-AA-302): fi nal overall survival analysis of a randomised, double-blind, placebo-controlled phase 3 study. Lancet Oncology 2015 Enzalutamide in Metastatic [5] Prostate Cancer before Chemotherapy, NEJM, 20145 Predicting Life Expectancy in Men Diagnosed with Prostate Cancer; European urology 68 (2015)

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