Efficacité douteuse du N-9 contre le VIH
Des études préliminaires indiquent que le gel spermicide au N-9 est inefficace contre la transmission du VIH.
Les Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et le Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA (ONUSIDA) basé à Genève ont récemment recommandé que les femmes s'abstiennent d'employer les spermicides au N-9 pour prévenir une transmission du VIH. Les CDC recommandent également de ne pas utiliser le N-9 comme barrière anti-VIH pendant un rapport anal.1
Les prestataires devraient donc cesser de conseiller aux clientes ne pouvant pas recourir au préservatif de considérer l'emploi de spermicides au N-9. Ils devraient aussi informer les utilisatrices de préservatifs lubrifiés au N-9 que, si leur emploi est cependant préférable à aucune protection, ce spermicide est sans doute inefficace contre le VIH. Les préservatifs sans N-9 sont peut-être une meilleure option en prévention anti-VIH.
Ces recommandations reflètent les résultats préliminaires d'une récente étude de l'ONUSIDA et des Columbia Laboratories, situés aux Etats-Unis : le N-9 serait inefficace contre le VIH et pourrait faciliter la transmission du virus. Les CDC comme l'ONUSIDA sont en train de réexaminer leurs lignes directrices relatives à l'emploi du N-9 en prévention des grossesses et des infections par le VIH dans les populations fortement exposées au virus.
Cette étude, financée par l'ONUSIDA, a été menée au Bénin, en Afrique du Sud, en Thaïlande et en Côte d'Ivoire auprès de 991 prostituées. Elle a montré qu'un gel contenant une faible dose de N-9 (52,5 mg) est significativement moins efficace qu'un placebo (un hydratant vaginal du nom de Replens) pour protéger les femmes contre le VIH. Toutes les participantes avaient bénéficié d'un counseling sur le VIH et reçu des préservatifs avec l'instruction d'encourager leurs partenaires à les employer. Malgré ces précautions, 59 cas de contamination par le VIH ont été enregistrés chez les 500 prostituées utilisant le gel au N-9 contre 41 dans le groupe utilisant le placebo. Chez les femmes exposées au spermicide, les lésions génitales étaient plus fréquentes, des lésions qui pourraient faciliter une contamination par le virus.2
« Nous savons que le N-9 n'est pas la bonne réponse. Il nous faudra donc continuer à chercher un microbicide efficace qui soit capable d'empêcher la transmission du VIH », déclare le docteur Joseph Perriëns, qui dirige les études sur les microbicides au sein de l'ONUSIDA.
En attendant, il faut insister sur le fait que l'emploi systématique du préservatif masculin en latex, que le rapport sexuel soit vaginal, oral ou anal, est le moyen le plus efficace de réduire le risque de contracter une infection sexuellement transmissible (IST) et notamment le VIH. Le préservatif devrait être employé pour toute relation intime dès qu'il existe un des facteurs de risque suivants : nouveau partenaire sexuel, ou partenaire engagé(e) dans une nouvelle relation sexuelle avec un tiers ; infection par une IST quelconque ou par le VIH, ou partenaire infecté(e) ; partage d'aiguilles hypodermiques pour l'injection de drogues, ou partenaire partageant de telles aiguilles.
Questions sans réponse
« Etant donné les résultats de l'étude de l'ONUSIDA, une certaine prudence s'impose », conseille le docteur Penelope Hitchcock, qui dirige le service des maladies sexuellement transmissibles du National Institute of Allergy and Infectious Diseases (NIAID). « Il est clair que le N-9 peut irriter la muqueuse vaginale et nous sommes de plus en plus conscients que les lésions vaginales rendent les femmes vulnérables à une infection par le VIH. »
Une étude antérieure de FHI réalisée au Cameroun n'avait mis en évidence aucune différence entre les taux de transmission du VIH chez les femmes utilisant soit un film contraceptif vaginal faiblement dosé en N-9 (72 mg), soit un film placebo. Mais les lésions génitales observées étaient plus courantes avec le spermicide qu'avec le placebo.3 Et une autre étude portant sur une éponge contraceptive renfermant 1.000 mg de N-9 a révélé une augmentation non seulement de la fréquence des ulcérations génitales, mais aussi de celle des contaminations par le VIH.4
Certains experts n'ont cependant pas renoncé à l'espoir d'exploiter le N-9 en prophylaxie. Ils font tout d'abord remarquer que, si l'étude de l'ONUSIDA a montré un plus grand nombre d'infections par le VIH chez les femmes utilisant le N-9 plutôt qu'un hydratant intime comme placebo, c'est peut-être parce que ce placebo avait lui-même une action protectrice. En évitant une sécheresse du vagin, on réduit en effet la fréquence des lésions survenant au cours de l'acte sexuel.
Par ailleurs, il faut attendre l'analyse détaillée des données de l'étude de l'ONUSIDA. « Seuls les résultats d'une analyse préliminaire de l'essai ont été rendus publics », précise le docteur Hitchcock. Par exemple, les chercheurs n'ont pas encore examiné le degré d'exposition au N-9 des femmes ayant contracté le VIH pendant l'étude.
De plus, il est possible que les spermicides au N-9 offrent une certaine protection contre le VIH chez les femmes ne les employant qu'épisodiquement. Les irritations et les ulcérations vaginales provoquées par le N-9 dépendent en effet de la dose et de la fréquence d'utilisation du produit. De faibles concentrations et un usage irrégulier sont moins agressifs et peuvent même ne causer ni irritation, ni ulcération.5
Toutes les études sur l'efficacité des spermicides au N-9 contre la transmission du VIH n'ont été conduites qu'avec des prostituées à haut risque infectieux. La réalisation de ces études a été jugée essentielle « afin d'obtenir une réponse dans des délais raisonnables avec des échantillons suffisants », indique le docteur Hitchcock. « Il faut mener des essais dans les populations à haut risque pour lesquelles le produit testé peut se révéler le plus bénéficiaire, mais aussi le plus nocif. Le dilemme, c'est que les résultats d'un essai conduit avec des femmes à haut risque utilisant souvent le produit peuvent ne pas refléter ses performances chez des sujets à faible risque ne l'employant que beaucoup plus rarement ». L'emploi peu fréquent d'un spermicide contenant du N-9 est par exemple moins susceptible de provoquer une irritation vaginale qu'un contact avec le produit plusieurs fois par jour.
Et les résultats d'études réalisées avec des prostituées sont difficiles à interpréter du fait des pratiques sexuelles spécifiques à ces femmes, souligne Mme Zeda Rosenberg, directrice scientifique chez FHI du HIV Prevention Trials Network (HPTN), un projet de recherche auquel collaborent FHI et d'autres organismes pour évaluer les essais de prévention contre le VIH et notamment ceux avec les microbicides expérimentaux. « Si les prostituées sont plus ou moins capables d'obtenir de leurs clients l'usage du préservatif et d'un microbicide », précise Mme Rosenberg, « elles tendent à n'avoir aucune protection avec leur partenaire primaire. Elles sont ainsi susceptibles d'irriter leur muqueuse vaginale avec les préservatifs ou les microbicides quand elles travaillent et d'augmenter leur risque de contamination par le VIH, tout en ayant ensuite des rapports non protégés avec un partenaire primaire qui peut être infecté. »
Pour ces raisons, il « serait utile », comme le dit Mme Rosenberg, de tester l'efficacité microbicide du N-9 contre le VIH chez les femmes présentant toujours un haut risque d'infection, mais n'utilisant le produit qu'épisodiquement.
Etat actuel des essais cliniques
Par souci de sécurité, FHI et les autres organismes du HPTN ont cessé de tester le N-9 comme prophylactique contre le VIH. Un projet d'étude d'un gel fortement dosé (100 mg de N-9) chez quelque 4.500 femmes séronégatives au Malawi et au Zimbabwe a ainsi été ajourné.
Un travail mené au Cameroun par FHI et par le Care and Health Program, un organisme non gouvernemental, a permis de tester sur un échantillon d'un millier de participantes l'efficacité d'un gel fortement dosé en N-9 (100 mg) contre la transmission de la gonorrhée et de la chlamydiose de l'homme à la femme. (L'emploi du spermicide au N-9 par les volontaires participant à cet essai était dans sa phase finale au moment de la publication des résultats de l'étude de l'ONUSIDA.) Les résultats n'ont indiqué aucune augmentation du risque d'infection par le VIH en cas d'usage épisodique, comme c'était le cas dans ce projet de recherche.
En outre, FHI mène actuellement aux Etats-Unis un essai randomisé et contrôlé pour mieux évaluer l'efficacité contraceptive et la régularité d'emploi de produits spermicides au N-9 de formulations et de dosages divers. A l'inverse de celles à haut risque étudiées par l'ONUSIDA, les participantes à cet essai sont des femmes à faible risque d'infection par le VIH. Elles sont aussi monogames. « Nous estimons cependant qu'il faut informer ces participantes sur les résultats de l'étude de l'ONUSIDA », indique le docteur Elizabeth Raymond, une gynécologue-obstétricienne qui travaille chez FHI et qui est investigateur principal de cet essai. « A l'intention des femmes déjà participantes, nous avons préparé une fiche d'information qui contient ces résultats et qui souligne la nécessité de précautions dans les situations à haut risque d'infection par une IST et par le VIH. Pour les futures participantes, nous avons mis à jour le formulaire de consentement informé en lui ajoutant des éléments sur les spermicides et sur le VIH ».
Les résultats de l'étude de l'ONUSIDA sont préoccupants. Ils rendent urgent le test d'autres agents microbicides expérimentaux. Plusieurs produits actuellement à un stade avancé d'évaluation de leur innocuité chez la femme pourraient ainsi être soumis plus rapidement à des tests combinés d'innocuité et d'efficacité.
Tous les agents microbicides retenus pour des tests d'efficacité de phase avancée sont peu susceptibles de causer une irritation vaginale comme le fait le N-9. Certains de ces agents n'ont pas d'effet contraceptif. « C'est un point très important », souligne le docteur Hitchcock, « car les femmes du monde entier ont besoin d'un moyen qui, sans empêcher la conception, élimine le risque d'une infection par le VIH. »
-- Kim Best
Notes
- Gayle HD. Notice to readers: CDC statement on study results of product containing nonoxynol-9. MMWR 2000;49(31):717-18.
- Van Damme L, Laga M. Vaginal microbicides, an update. The XIII World Conference on HIV/AIDS, Durban, South Africa, July 9-14, 2000.
- Roddy RE, Zekeng L, Ryan KA, et al. A controlled trial of nonoxynol 9 film to reduce male-to-female transmission of sexually transmitted diseases. N Engl J Med 1998;339(8):504-10.
- Kreiss J, Ngugi E, Holmes KK, et al. Efficacy of nonoxynol-9 contraceptive sponge use in preventing heterosexual acquisition of HIV in Nairobi prostitutes. JAMA 1992; 268(4):477-82.
- Roddy RE, Cordero M, Cordero C, et al. A dosing study of nonoxynol-9 and genital irritation. Int J STD AIDS 1993;4(3):165-70; Martin HL, Stevens CE, Richardson BA, et al. Safety of a nonoxynol-9 vaginal gel in Kenyan prostitutes: a randomized clinical trial. Sex Trans Dis 1997;24(5): 279-83; Martin HL Jr, Richardson BA, Stevens CE, et al. Evaluation of a low dose nonoxynol-9 gel for the prevention of sexually transmitted diseases, Abstract No. 33610. Int Conf AIDS 1998;12:29.
Relations anales : sérieux risques de contracter le VIH ou des IST |
Dans certaines cultures, les couples hétérosexuels ont des relations anales. Ils les pratiquent pour diverses raisons, que ce soit par plaisir ou par curiosité, ou encore pour prévenir une grossesse, pour protéger une virginité ou pour éviter un contact avec le sang menstruel.1 Selon les enquêtes menées dans les pays industriels comme dans ceux en développement, entre 10 % et 50 % des adolescents et des adultes sexuellement actifs auraient des relations anales hétérosexuelles.2 La majorité d'entre eux n'utilisent aucun préservatif pour prévenir une possible transmission infectieuse. Chez la femme ayant un rapport non protégé, le risque de contracter le VIH est plus élevé au cours d'un rapport anal que d'un rapport vaginal.3 Ce type de relations est aussi lié à d'autres infections sexuellement transmissibles (IST), au virus de l'hépatite B et au papillomavirus humain (HPV), avec, dans ce dernier cas, possibles lésions et cancers de l'anus chez la femme.4 « Non seulement la prévalence de cette pratique tabou est probablement sous-estimée dans les enquêtes, mais ses risques pour la santé semblent largement ignorés par une grande partie de la population sexuellement active, que ce soit en Amérique du Nord comme du Sud, ou dans des régions d'Asie du Sud, d'Afrique et ailleurs », indique le docteur Daniel Halperin, professeur assistant au Center for AIDS Prevention (CAPS) and Medical Anthropology de l'université de la Californie, qui a étudié le sujet. « L'idée que, chez les couples hétérosexuels, le sida ne puisse résulter que d'une infection transmise par voie vaginale est entretenue par les programmes de prévention contre le VIH et les IST ciblant la population générale, car ils oublient d'aborder la question du sexe anal. Habituellement stigmatisée et cachée, cette pratique sexuelle devrait être mieux reconnue par ces programmes comme par ceux s'adressant spécifiquement aux femmes ou promouvant une meilleure santé. » Selon le docteur Halperin, les couples utilisent moins souvent le préservatif au cours d'un rapport anal que d'un rapport vaginal. D'après les études conduites dans les pays en développement, entre 70 % et 90 % des couples hétérosexuels ayant des relations anales n'emploient jamais de préservatif durant l'acte ou le font seulement irrégulièrement. Ce même phénomène a été confirmé par des travaux réalisés aux Etats-Unis.5 Un manque de protection Ces faibles taux de protection des couples hétérosexuels pratiquant les rapports anaux s'expliquent en partie par leur crainte que le préservatif masculin ne glisse ou ne se rompe plus facilement qu'au cours d'un rapport vaginal. Il est difficile d'interpréter les taux de glissement et de rupture observés chez les sujets ayant des rapports anaux. Sans emploi d'un lubrifiant, les chances de glissement du préservatif sont apparemment bien plus élevées en cas de pénétration anale.6 Mais, étude après étude, les chercheurs constatent que les échecs avec le préservatif sont plus fréquents chez les utilisateurs manquant d'expérience,7 et on sait que les femmes hétérosexuelles sont en général moins familiarisées avec son emploi par voie anale que par voie vaginale. Ces problèmes liés au préservatif poussent les chercheurs à s'intéresser de plus en plus aux microbicides topiques pour voir s'ils peuvent protéger contre une transmission du VIH pendant un rapport anal. On a montré que l'emploi vaginal de produits spermicides au nonoxynol-9 (N-9) était inefficace contre une telle transmission et que, de fait, ils la facilitaient probablement. Il faut alors s'attendre à ce que ces produits au N-9 présentent aussi un risque par voie anale et ils ne sont donc pas recommandés pour cet usage.8 Grâce à une étude de petite échelle, des chercheurs du Population Council, basé à New York, ont aussi constaté que les lubrifiants du marché contenant des concentrations faibles ou modérées de N-9 provoquent la desquamation d'importantes surfaces de la muqueuse rectale, un phénomène qui augmenterait les risques d'infection par le VIH ou une IST.9 Selon le docteur David Phillips, investigateur principal auprès du Population Council : « Même si d'autres travaux seront nécessaires pour les confirmer, les résultats de notre étude sont alarmants. Nous continuons à étudier le N-9 parce qu'il est toujours disponible sur le marché et utilisé par ceux pratiquant le sexe anal. Mais je ne recommanderais pas son emploi pour ce type de rapport sexuel. » Le docteur Phillips prévient également que d'autres lubrifiants vendus pour les relations anales n'ont été ni contrôlés ni testés, et qu'ils peuvent irriter la muqueuse rectale au moins autant que le N-9. -- Kim Best Notes
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