Circoncision : risque réduit d'infection par le VIH ? Il faudra d'autres études pour mieux examiner le lien entre circoncision et prévention contre le VIH.
Dans quelques pays, la circoncision masculine est de plus en plus fréquente, car les hommes entendent dire qu'elle réduit le risque de contracter le VIH. Si certains éléments existent pour étayer cette croyance, il ne semble pas pourtant qu'une promotion de la circoncision soit une bonne stratégie pour freiner l'épidémie.
Si les responsables des politiques de santé recommandent la circoncision pour combattre la contamination par le VIH, certains hommes assumeront de manière erronée que leur protection contre le virus est excellente. Ils seront alors enclins aux comportements à risque et tentés d'abandonner l'usage du préservatif, de multiplier leurs partenaires sexuels ou encore d'avoir des rapports avec des partenaires éventuellement infectées, avec pour conséquence une accélération probable de la propagation du VIH.
Par ailleurs, une circoncision pratiquée par une personne non qualifiée et dans de mauvaises conditions d'asepsie peut conduire à de graves et durables complications, voire même au décès du sujet. Les hommes qui optent pour cette ablation de leur prépuce ne devraient s'adresser qu'à un personnel médical travaillant dans un environnement hygiénique.
« Notre position actuelle, c'est que les résultats obtenus sont assez convaincants pour suggérer un effet protecteur de la circoncision chez l'homme dans des contextes à fort risque de contamination par le VIH », indique le docteur Timothy Farley, attaché à Genève au Programme spécial de recherche, de développement et de formation à la recherche en reproduction humaine de l'Organisation mondiale de la Santé. « Mais rien ne prouve que l'on puisse effectivement réduire le nombre de nouvelles infections par le virus en favorisant la circoncision chez le garçon et chez l'homme ; il est tout à fait possible qu'un tel effort mine d'autres stratégies de prévention ».
Cette opinion est partagée par le docteur Michel Caraël, responsable à Genève du groupe de prévention du VIH au sein du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA. « Il est nécessaire que la communauté scientifique internationale étudie plus à fond la relation entre circoncision et prévention du VIH », conclut-il, « et il est trop tôt pour établir de claires directives dans ce domaine ».
Dans quelques pays africains, il semble que les hommes cherchent à se faire circoncire pour réduire leur risque vis-à-vis du VIH. Au Nigeria, « il y a aujourd'hui une demande croissante pour la circoncision masculine considérée comme un moyen de prévenir le VIH », confirme le docteur Ernest Ekong, médecin de la santé publique à l'hôpital de la base militaire de Yaba Lagos. En Afrique du Sud, de nombreux hommes se rendent dans les dispensaires locaux ou chez des médecins généralistes pour s'y faire circoncire pour raisons de santé, et c'est souvent leur femme qui prend le rendez-vous.1
Dans le monde, environ 20 % des hommes sont circoncis pour des motifs religieux, culturels, médicaux ou autres.2
Dans les pays en développement, peu de circoncisions masculines sont effectuées dans des conditions stériles par un personnel médical qualifié. Les taux de morbidité sont élevés. Entre 1981 et 1998, des chercheurs ont conduit au Nigeria et au Kenya une étude prospective de 249 cas de circoncisions réalisées sous asepsie par un chirurgien expérimenté. Ils ont constaté des complications chez 11 % des sujets, bien qu'aucune n'ait entraîné d'amputation ou de décès. Et chez 50 patients traités pour complications à la suite d'une circoncision faite par d'autres praticiens (le plus souvent des praticiens traditionnels sans formation médicale), ces mêmes chercheurs ont enregistré un cas d'infection fatale et sept cas de perte partielle ou totale du pénis. Par ailleurs, une enquête menée auprès de musulmans en Ouganda a révélé que le même instrument tranchant non stérilisé était employé pour plusieurs circoncisions successives, une pratique qui présente un risque majeur de transmission du VIH.3
Il arrive que le personnel de santé soit lui-même mal préparé pour pratiquer des circoncisions. Une étude d'acceptabilité de la circoncision masculine et de faisabilité dans des conditions hygiéniques chez les hommes et les femmes Luo de la province de Nyanza, au Kenya, a montré qu'un seul centre de soins sur huit disposait en quantités suffisantes des instruments et des fournitures nécessaires à la pratique sans danger de cet acte chirurgical.4
Des éléments contradictoires
Des éléments contradictoires
Pour certains scientifiques, la circoncision est non seulement d'effet prouvé, mais il est grand temps d'en répandre la pratique pour des raisons de santé. Une trentaine de travaux ont montré que les hommes circoncis ont moins de chances d'être infectés par le VIH.5 En Ouganda, une récente étude prospective, menée à Rakai sur une période de 30 mois, a suivi 187 couples dont la femme était séropositive et l'homme séronégatif. Les chercheurs ont constaté 40 nouvelles infections chez les 137 époux non circoncis, mais aucune chez les 50 époux circoncis.6 Une autre étude récente a porté sur quelque 8.000 hommes et femmes de Yaoundé, au Cameroun, et de Cotonou, au Bénin. Dans ces villes où les taux de prévalence du VIH sont faibles parmi les hommes sexuellement actifs (de l'ordre de 4 %), la quasi-totalité des hommes sont circoncis. A l'inverse, à Kisumu, au Kenya, et à Ndola, en Zambie, où les taux de prévalence du virus sont très élevés (respectivement 22 et 26 %), la circoncision est bien moins fréquente (respectivement 27 et 8 % des hommes).7 Une autre étude prospective récente a examiné l'effet de la circoncision sur la propagation du VIH et d'autres infections transmises sexuellement. Au sein d'un échantillon d'environ 750 chauffeurs-routiers kenyans, elle a mis en évidence un taux d'infection par le VIH quatre fois supérieur chez les sujets non circoncis.8
Pour certains observateurs, la pratique plus ou moins fréquente de la circoncision expliquerait les différences de prévalence du VIH entre certains pays ou certaines régions. Quand la circoncision est une pratique répandue, les taux d'infection par le virus tendent à demeurer bas. En Amérique du Nord, où environ 80 % des hommes sont circoncis, moins de 1 % de la population est séropositive. Et en Afrique occidentale, là où la circoncision est aussi fréquemment pratiquée, le taux d'infection des hommes âgés de 15 à 49 ans reste entre 1 et 5 %. Mais en Afrique orientale et australe, des régions où en général moins de 20 % des hommes sont circoncis, le taux de prévalence du VIH se situe entre 15 et 25 %.9 La progression du VIH en Thaïlande et au Cambodge a aussi été largement attribuée aux faibles taux de circoncision masculine.10
Mais d'autres scientifiques font remarquer qu'au moins cinq études n'ont pas démontré ce rôle protecteur de la circoncision. Une autre étude a même conclu à une augmentation du risque de contamination par le VIH chez les sujets circoncis. Il existe donc des contradictions. Par exemple, on peut se demander pourquoi les taux d'infection par le virus demeurent aussi faibles en Europe, alors que la plupart des hommes n'y sont pas circoncis. Et pourquoi ces taux sont-ils élevés dans d'autres régions où la circoncision est pourtant une pratique très commune, comme en Ethiopie ?
« Ce serait une heureuse coïncidence si la circoncision, très courante ici, protégeait contre la transmission du VIH », lamente le docteur Asheber Gaym de l'université d'Addis Ababa, en Ethiopie. « Malheureusement, alors que la grande majorité des hommes de notre pays sont circoncis, l'épidémie s'y répand rapidement ».
Certaines de ces contradictions pourraient s'expliquer par des facteurs comportementaux. Il est possible que les hommes circoncis aient par exemple des habitudes religieuses, culturelles ou hygiéniques qui contribueraient à une meilleure protection contre le VIH. De telles habitudes s'observent notamment chez les musulmans, dont la religion interdit la consommation d'alcool, souvent liée au non-emploi du préservatif ou à la fréquentation de prostituées à haut risque infectieux. La polygamie, qui favorise une activité sexuelle avec les seules épouses, et le lavage intime post-coïtal avant la prière sont d'autres pratiques musulmanes pouvant jouer dans la prévention contre le VIH. Si la récente étude ougandaise a mis en évidence une étroite relation entre circoncision et prévalence réduite des cas d'infections par le virus, cet effet protecteur n'a pas été constaté de manière significative chez les non-musulmans.11 Il est aussi probable que la variabilité de la prévalence des MST selon les populations joue un rôle. De plus, de nombreux éléments autres que la circoncision peuvent expliquer des taux nettement supérieurs ou inférieurs observés dans certains groupes. La plupart des experts s'accordent sur le fait que seules des études rigoureuses, randomisées et contrôlées permettront de déterminer clairement l'importance respective des divers facteurs biologiques ou comportementaux.
Des travaux complémentaires seront aussi nécessaires pour déterminer si la circoncision masculine réduit le risque de transmission sexuelle du VIH d'un homme infecté à une femme saine. La seule étude consacrée à ce sujet a montré que la circoncision pouvait sans doute diminuer ce risque avec les hommes séropositifs dont les concentrations virales demeurent relativement faibles.12
La question devient encore plus compliquée quand on considère certains résultats suggérant que plus l'âge de la circoncision est précoce, plus son effet protecteur contre le VIH serait prononcé. Grâce à une étude réalisée en Ouganda auprès de 6.821 hommes, les chercheurs ont relevé des taux d'infection par le virus de 14 % chez les sujets non circoncis et de 16 % chez ceux circoncis après l'âge de 20 ans. Mais le second taux tombait à seulement 10 % chez les hommes circoncis entre 13 et 20 ans, et même à 7 % chez ceux circoncis avant l'âge de 13 ans.13
Ces données et d'autres résultats suggèrent que la circoncision ne serait un moyen efficace de prévention du VIH seulement lorsqu'elle est pratiquée chez l'enfant ou chez le garçon prépubère. Mais de telles circoncisions n'aurait aucun effet immédiat pour freiner la progression du VIH. Il faudrait aussi les pratiquer sans consentement informé, ce qui soulève des questions d'éthique loin d'être résolues.
Il faut noter que la circoncision néonatale protégerait contre les cancers du pénis à la fois localisés et envahissants.14 Les hommes non circoncis seraient plus susceptibles d'avoir un cancer pénien, car ils présenteraient un risque plus élevé d'infection par le papillomavirus humain (HPV). Une étude de 38 hommes argentins atteints d'un tel cancer a montré qu'il existait dans la plupart des cas un lien avec le HPV.15 Et à Bali, il est estimé que le HPV est impliqué dans plus de 75 % des cancers génitaux. En 1986, le cancer du col utérin, souvent associé à une infection par le HPV, était la forme la plus fréquente de cancer chez les femmes de cette île. Chez les hommes, rarement circoncis, c'est le cancer du pénis qui était la seconde forme de cancer la plus répandue.16
-- Kim Best .
Notes
1 Taljaard R, Taljaard D, Auvert B, et al. Cutting it fine: male circumcision practices and the transmission of STDs in Carletonville. The XIII International AIDS Conference, Durban, South Africa, July 9-14, 2000.
2 Magoha GAO. Circumcision in various Nigerian and Kenyan hospitals. East Afr Med J 1999;76(1):583-86.
3 Magoha; Kagimu M, Marum E, Serwadda D. Planning and evaluating strategies for AIDS health education interventions in the Muslim community in Uganda. AIDS Educ Prev 1995;7(1):10-21.
4 Bailey R, Muga R, Poulussen R. Trial intervention introducing male circumcision to reduce HIV/STD infections in Nyanza province, Kenya: baseline results. The XIII International AIDS Conference, Durban, South Africa, July 9-14, 2000.
5 Halperin DR, Bailey RC. Male circumcision and HIV infection: 10 years and counting. Lancet 1999;354(192):1813-15; Moses S, Plummer FA, Bradley JE, et al. Association between lack of male circumcision and risk for HIV infection: review of the epidemiological evidence, abstract no. We.C.452. Int Conf AIDS 1996;11(2):40; Weiss H, Quigley M, Hayes R. Male circumcision and risk of HIV infection in sub-Saharan Africa: a systematic review and meta-analysis. AIDS 2000;14(15):2361-70.
6 Quinn TC, Wawer MJ, Sewankambo N, et al. Viral load and heterosexual transmission of human immunodeficiency virus type 1. N Engl J Med 2000;342(13):921-29.
7 Buvé A, Auvert B, Lagarde E, et al. Male circumcision and HIV spread in sub-Saharan Africa. The XIII International AIDS Conference, Durban, South Africa, July 9-14, 2000.
8 Lavreys L, Rakwaar JP, Thompson ML, et al. Effect of circumcision on incidence of HIV and other STDs: a prospective cohort study of trucking company employees in Kenya. J Infect Dis 1999; 180(2):330-36.
Halperin.
10 Weniger BG, Brown T. The march of AIDS through Asia. N Engl J Med 1996;335(5):343-45.
11 Quinn TC, Wawer MJ, Sewankambo NK, et al. A study in rural Uganda of heterosexual transmission of human immunodeficiency virus [authors' reply to letters]. N Engl J Med 2000;343(5):364-65.
12 Gray RH, Kiwanuka N, Quinn TC, et al. Male circumcision and HIV acquisition and transmission: cohort studies in Rakai, Uganda. AIDS 2000;14(15):2371-81.
13 Kelly R, Kiwanuka N, Wawer MJ, et al. Age of male circumcision and risk of prevalent HIV infection in rural Uganda. AIDS 1999;13(3):399-405.
14 Schoen EJ, Oehrli M, Colby CD, et al. The highly protective effect of newborn circumcision against invasive penile cancer. Pediatrics 2000; 105(3):E36; Maden C, Sherman KJ, Beckmann AM, et al. History of circumcision, medical conditions and sexual activity and risk of penile cancer. J Natl Cancer Inst 1993;85(1):19-24.
15 Picconi MA, Eijan AM, Distefano, et al. Human papillomavirus (HPV) DNA in penile carcinomas in Argentina: analysis of primary tumors and lymph nodes. J Med Virol 2000; 61(1):65-69.
16 Boon ME, Susanti I, Tasche MJ, et al. Human papillomavirus (HPV)-associated male and female genital carcinomas in a Hindu population. The male as vector and victim. Cancer 1989;64(2): 559-65.
L'effet protecteur pourrait s'expliquer par l'élimination de cellules spécialisées |
Comment la circoncision peut-elle protéger l'homme contre une infection par le VIH ?
Divers facteurs biologiques pourraient expliquer le phénomène. Chez la femme, dans la plupart des cas d'infection primaire par le VIH, le virus se fixe aux récepteurs de certaines cellules vaginales spécialisées appelées cellules de Langerhans. Ces cellules abondent aussi à la surface interne du prépuce et dans l'urètre masculin. Chez l'homme, il est probable que ces cellules soient également le point d'entrée du virus au cours du rapport sexuel,1 quand le prépuce est replié sur le corps du pénis et que sa surface interne est exposée aux sécrétions vaginales. On sait que les cellules de Langerhans sont les principales cellules superficielles impliquées dans la transmission du VIH aux tissus lymphatiques,2 ce qui conduit à une infection mortelle. Par ailleurs, il arrive que le frein du prépuce, cette bande tissulaire très vascularisée qui l'attache en dessous à la base du gland, puisse se déchirer ou s'abraser facilement pendant l'acte sexuel et faciliter ainsi une pénétration du VIH dans l'organisme. Autre facteur : l'hygiène intime masculine, mais son lien avec une possible infection par le VIH est mal connu. Pourtant, en l'absence d'une bonne hygiène, des pathogènes transmis sexuellement, bactéries et virus notamment, s'accumulent sous le prépuce. Ce qui pourrait expliquer pourquoi les hommes non circoncis sont plus susceptibles de contracter une infection sexuellement transmissible (IST) s'accompagnant de lésions. Et on sait que le risque d'une contamination par le VIH est plus élevé chez les porteurs d'une IST. Des travaux menés en Afrique ont montré que les antécédents d'ulcérations génitales sont plus fréquents chez les hommes infectés par le VIH que chez ceux non infectés. Une étude a établi que le taux d'infection par le VIH était cinq fois plus élevé chez les sujets atteints d'un chancre mou que chez les autres sujets.3 Dans le cadre d'une autre étude conduite au sein d'un échantillon de 293 sujets, 24 hommes (8 %) ont contracté le VIH. Les chercheurs ont observé que la plupart des ces infections se présentaient soit chez les sujets non circoncis, soit chez les porteurs d'une maladie causant des ulcérations génitales.4 Et des experts estiment que, dans certaines populations, ce serait le groupe des hommes non circoncis et atteints de telles ulcérations qui répandrait avant tout l'épidémie.5 -- Kim Best Notes
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