Un tapis moléculaire miniaturisé pour analyser des ADN en 15 minutes au lieu de 24 heures
Une équipe de chercheurs français publie aujourd'hui dans Science un article sur la mise au point d'un dispositif qui pourrait à terme révolutionner l'analyse des molécules biologiques. Le dispositif repose sur l'utilisation d'une galette de silicone de seulement 4 cm de diamètre dans laquelle sont moulés des microcanaux. Ces canaux sont alors remplis d'une solution contenant des nanobilles magnétiques qui s'auto-organisent sous l'action d'un champ magnétique. Le tamis moléculaire ainsi formé peut être utilisé pour analyser et trier des ADN avec une vitesse largement supérieure à celle autorisée par les techniques actuelles.
Ces travaux constituent un réel pas en avant dans la mise au point de "laboratoires sur puces" qui réuniraient à la fois miniaturisation et automatisation des tâches.
Ce laboratoire sur puce a été développé par les équipes de Jean-Louis Viovy (UMR 168 "Physico-chimie Curie" CNRS/Institut Curie) et Jérome Bibette (Laboratoire "Colloïdes et Nanostructures", ESPCI). Leur système innovant d'électrophorèse "sur puces" concerne pour l'instant l'analyse des ADN mais des développements sont en cours pour pouvoir par exemple analyser la présence de micrométastases chez un patient.
La technique employée repose sur les principes traditionnels de l'électrophorèse : séparer des molécules soumises à un champ électrique selon leur vitesse de migration à travers un tamis, les plus rapides étant les premières à sortir. Il est par exemple courant d'utiliser l'électrophorèse en champ pulsé sur gel d'agarose faiblement concentré pour séparer des fragments d'ADN de plus de 20 kilopaires de bases (kpb).
L'élégance de la nouvelle technique "sur tapis moléculaire" réside dans sa miniaturisation, les composants employés et la vitesse d'analyse.
Le composant principal est une galette de silicone au sein de laquelle sont moulés des microsillons. Ces canaux minuscules vont former le "contenant" du tamis de séparation des molécules à analyser.
Il reste alors à remplir ce contenant par une matrice qui va former le tamis. Les équipes de Jean-Louis Viovy et Jérome Bibette ont pour cela utilisé des billes magnétiques nanoscopiques (10-9m).
Dans des conditions normales, ces billes se comportent comme de petits aimants en suspension. On introduit alors facilement les nanobilles en suspension dans le microcanal de la galette de silicone.
L'ensemble du dispositif est alors soumis à un champ magnétique qui entraine une auto-organisation des nanobilles selon les lignes du champ appliqué : il se forme spontanément des structures régulières en colonnes formées par les nanobilles. Le "tamis" de séparation est opérationnel.
Les molécules à analyser (des ADN dans ces expériences) sont alors introduites dans le tamis sous l'action d'un champ électrique via d'autres canaux gravés sur la galette de silicone. Sous l'action de ce champ électrique, les molécules migrent à travers la matrice de micro-colonnes pour être séparées selon leur taille ; les plus grosses sont les plus ralenties. Les molécules sont repérées à la sortie du micro-canal par un système de détection optique.
Les chercheurs ont baptisé ce système Ephesia, nom d'un temple dédié à Artémis qui a été sans cesse détruit et reconstruit pendant l'Antiquité, précise un communiqué commun de l'Institut Curie, du CNRS et de l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI).
En effet, la structure de microcolonnes peut être spontanément désorganisée lorsque le champ magnétique n'est plus appliqué. Le tamis peut donc être facilement remplacé entre deux analyses.
Ephesia est donc réversible, les "mailles du tamis" sont adaptables et c'est surtout une technique miniaturisée et rapide. En effet, ces chercheurs français ont été en mesure de séparer des ADN de 10 à 200 kpb en 20 minutes au lieu des 24 heures habituelles avec l'électrophorèse à champ pulsé.
Les travaux s'orientent désormais vers la séparation de fragments d'ADN plus longs, tels que ceux contenus dans les banques. Ce type de fragments est aussi étudié dans les remaniements génomiques impliqués dans les cancers. Une autre approche consiste à coupler des anticorps spécifiques sur les billes magnétiques. Il serait alors possible de retenir facilement des cellules cancéreuses, analyse utile pour la recherche de micrométastases.
Source : Science 2002;295:2237. Institut Curie, CNRS, ESPCI
SR
Descripteur MESH : ADN , Électrophorèse , Miniaturisation , Chimie , Recherche , Physique , Paris , Nanostructures , Laboratoires sur puces , Laboratoires , Électrophorèse en champ pulsé , Colloïdes , Cellules , Automatisation , Anticorps , Aimants , Agarose