Les contrevérités du Pr Joyeux nuisent aux femmes
Sous le masque de la compétence médicale, arborant le titre d’ancien Professeur de chirurgie générale, Mr Henri Joyeux se permet d’écrire dans un livre paru en 2013 des contrevérités dans le domaine de la contraception. Aurait-il publié des articles scientifiques sur le sujet dans la littérature scientifique ? Cela nous aurait échappé. Car là, il ne suffit pas d’affirmer les choses pour les rendre véridiques.
Le public a besoin d’une information de qualité et ce n’est certainement pas dans ce livre aux relents complotistes (« on nous cache la vérité sur les pilules ») qu’il la trouvera. De plus en plus de femmes lisent ces contrevérités sur les réseaux sociaux et nous interrogent. La pilule serait « la plus grande déroute médicale du XXIème siècle » ? Sans doute oublie t-il, confondant l’idéologie et la médecine, que nombre de femmes mouraient avant la contraception ou conservaient toute leur vie des séquelles liées à une grossesse non souhaitée.
Mais pour lui, cela n’existe probablement pas, une grossesse non souhaitée.
Les pilules seraient à l’origine de cancers ? Mais la littérature scientifique internationale dit avec force preuves exactement le contraire. Elle ne dit pas qu’il n’y a jamais d’effet indésirable grave[1], mais elle dit depuis 2008 que la pilule évite 30 000 cancers de l’ovaire par an[2]. Et cette donnée a été confirmée en 2013[3]. La fréquence d’apparition de ce cancer, difficile à soigner, est diminuée de 27% et cette diminution est d’autant plus importante que la prise de pilule a été longue. La différence persiste après l’arrêt de la pilule.
Mais pour lui, ça n’existe probablement pas la réalité scientifique quand elle dit le contraire de ce que ses convictions personnelles lui insufflent.
Il en va de même du cancer du corps de l’utérus et du cancer du colon. A l’échelle mondiale, les pilules auraient permis d’éviter en 50 ans 400 000 cancers de l’endomètre, dont 200 000 dans les 10 dernières années et là aussi la diminution est
corrélée à la longueur de la prise de pilule (le risque diminue de 24% par tranche de 5 ans d’utilisation de la pilule)[4].
Dommage aussi qu’il ignore les données du « Royal College » britannique publiées en 2010[5] qui montrent sur une cohorte de 46 112 femmes suivies sur 39 ans (soit 378 006 années femmes pour les femmes n’ayant jamais utilisé de contraception et 819 175 années femmes pour les femmes l’ayant toujours utilisée) une diminution de 29% des cancers gynécologiques et une meilleure espérance de vie chez les femmes ayant pris la pilule. La réduction de mortalité totale observée chez les femmes ayant toujours utilisé une contraception a été de 55 pour 100 000 femmes. Le mécanisme d’action de ces effets bénéfiques est inconnu[6] mais on peut dire que la pilule a, depuis 50 ans, épargné des millions de vies de femmes. On peut ne pas être en accord avec ces conclusions, mais alors, la moindre des obligations c’est de s’y opposer avec d’autres arguments scientifiques.
Mais pour lui, probablement que la vérité scientifique n’existe pas.
Tout ceci ne fait évidemment pas des pilules des médicaments à utiliser pour leurs effets préventifs du cancer mais dire qu’elles constituent « une déroute médicale » est sûrement inspiré par d’autres considérations que celles qui devraient guider un ancien professeur de médecine : dire des choses vraies et établies scientifiquement avec leurs références et pas seulement en se contentant de lever son doigt mouillé dans le vent.
Et, pour remplacer la pilule, dans sa générosité innovante, il propose une méthode bien connue de tous, la méthode Ogino de l’abstinence périodique, certes désormais gérée par un ordinateur ce qui ne confère à son inefficacité qu’une modernité de façade. Inventée par deux médecins (Ogino et Knaus) au début du XXème siècle, elle servait à organiser les permissions des soldats exclusivement pendant les périodes de fécondité de leurs épouses pour repeupler plus efficacement le pays. Pour augmenter les grossesses, cette méthode avait fait ses preuves. Comme méthode de contraception par contre, bien qu’autorisée par le pape Pie XII en 1951, aucun spécialiste digne de ce nom n’oserait la proposer aujourd’hui, tant elle est défaillante.
Mais pour le Pr Joyeux la vérité dite aux femmes sur l’inefficacité d’une méthode de contraception, c’est probablement un détail.
De tout temps, des personnes incompétentes se sont permises de donner des avis médicaux sans en assumer les conséquences. Ceux qui y croyaient en étaient pour leurs frais et leurs désagréments. Mais ce qui aggrave désormais la confusion collective c’est que cette incompétence se pare de titres médicaux qui ne correspondent plus à une
réalité[7]. Quand l’idéologie et la médecine se confondent, ce sont les patients qui en payent le prix. Il est du devoir et de la responsabilité des Professionnels de la Gynécologie qui signent ces lignes de mettre les femmes en garde contre les faux prophètes de notre temps.
Tribune rédigée par le Pr Israël Nisand [8] et le Dr Brigitte Letombe [9]
pour les sociétés savantes de gynécologie : CNGOF[10], FNCGM[11], SFG[12]
Références
1 Marino A. et coll, Recurrence and mortality in young women with myocardial infarction or ischemic stroke : long-term follox-up of the risk of arterial thrombosis in relation to oral contraceptives study. JAMA, 2016, 176 (1) : 134-6
2 Beral V. et coll., Collaborative Group on Epidemiological Studies of Ovarian Cancer. Ovarian cancer and oral contraceptives : Collaborative reanalysis of data from 45 epidemiological studies including 23257 women with ovarian cancer and 83303 controls. Lancet, 2008, 371 : 303-13.
3 Havrilesky LJ, Oral contraceptive use for the primary prevention of ovarian cancer. Evid. Rep. Technol. Assess., 2013 ; 212 : 1-514.
4 Collaborative Group on Epidemiological Studies on Endometrial Cancer. Endometrial cancer and oral contraceptives : an individual participant méta-analysis of 27 276 women with endometrial cancer from 36 epidemiological studies. Lancet Oncol, 2015, 16 : 1061-70.
5 Hannaford PC & al., Mortality among contraceptive pill users: cohort evidence from Royal College of General Practitioners’ Oral Contraception Study, BMJ 2010;340:c927
6 Wentzensen N et coll., The pill’s gestation : from birth control to cancer prévention. Lancet Oncol, 2015, 16 : 1004-6.
7 Le Pr Joyeux a fait l’objet d’une plainte disciplinaire de la part de l’Ordre National des Médecins
8 CHU de Strasbourg, Pôle de gynécologie obstétrique
9 CHU de Lille, Centre de Médecine du Couple
10 Collège National des Gynécologues Obstétriciens Français
11 Fédération Nationale des Collèges de Gynécologie Médicale
12 Société Française de Gynécologie
Descripteur MESH : Femmes , Contraception , Littérature , Chirurgie générale , Médecine , Gynécologie , Médecins , Vie , Temps , Grossesse , Israël , Fécondité , Mortalité , Obstétrique , Patients , Personnes , Risque , Sociétés , Sociétés savantes , Espérance de vie , Vent , Confusion
1 réaction(s) à l'article Les contrevérités du Pr Joyeux nuisent aux femmes
ghislaine labre| 24/03/2016-