Faire payer les clients, un bien ou un mal?

Demander un paiement pour les services aide au recouvrement des coûts mais peut décourager leur utilisation.

Gratuit ou paiement ? Est-ce que les programmes de planification familiale devraient demander aux clients de payer pour les contraceptifs et les services ? Pendant des décennies, des programmes ont étendu l'accès aux contraceptifs dans les pays en développement en offrant les services gratuitement ou à bas prix, souvent avec un appui financier du gouvernement ou des bailleurs de fonds internationaux. D'après les Fonds des Nations Unies pour la population, les gouvernements des pays en développement paient actuellement 75 pour cent des coûts liés aux programmes de planification familiale, tandis que les bailleurs de fonds contribuent 15 pour cent et les clients paient 10 pour cent.1

Récemment, ces programmes ont dû faire face à une augmentation en demande, ce qui a fait monter les coûts. On demande aux gestionnaires d'élargir les services de planification familiale afin de répondre à d'autres besoins en santé de la reproduction et afin d'améliorer la qualité, de servir les pauvres et de fournir une gamme plus large de méthodes contraceptives. Cependant, le nombre de femmes en âge de reproduction continue à augmenter dans le monde entier alors que le financement des bailleurs de fonds internationaux diminue.

Les programmes qui comptent principalement sur le financement de bailleurs internationaux, typiquement ceux qui sont gérés par des organisations non gouvernementales (ONG), ont peu d'options pour augmenter leur revenu. Faire payer les clients de planification familiale est une stratégie pour recouvrir les coûts. D'autres approches comprennent le paiement des services de santé connexes, comme les analyses de laboratoire, ou bien des activités de programmes, comme la formation ou l'éducation, afin de pouvoir ainsi utiliser une partie de cet argent pour subventionner les programmes de planification familiale.

"Un des défis pour les programmes de planification familiale est de faire face à une demande croissante pour les services", déclare le docteur Barbara Janowitz, économiste et directrice de la division pour les recherches sur la prestation des services. "Un ministère de Santé dans le secteur publique a le potentiel de remplacer les fonds des bailleurs avec les revenus d'impôts, mais les ONG n'ont pas ce potentiel. Ils doivent obtenir des revenus en demandant un paiement pour les services."

Disponible à tous

Beaucoup de ceux qui s'opposent au paiement soutiennent que la planification familiale est un droit humain fondamental et un service de santé essentiel. "Il existe un sentiment fort parmi les ONG que ce qu'ils font doit être gratuit ou à bas prix et disponible à tous," indique le docteur James Foreit, qui a étudié le financement soutenable en tant que directeur de l'Investigación Operativa y Asistencia Técnica en Planificación Familiar y Salud Materno-infantil en América Latina y el Caribe (INOPAL) Projet III du Population Council. "Il y a un credo philosophique fondamental parmi certains qu'il ne faut pas en tirer profit."

Par ailleurs, le fait de demander un paiement pour les services pourrait réduire d'autant plus l'accès à la contraception en ce temps ou beaucoup de personnes n'ont pas accès aux services dont elles ont besoin. L'encaissement de l'argent pourrait être trop coûteux pour des centres qui luttent déjà à maintenir l'équilibre entre les ressources et la demande. Certains couples qui paient pour la planification familiale pourraient être amenés à faire d'autres sacrifices chez eux -- réduire la consommation alimentaire ou augmenter leurs heures de travail. D'autres encore pourraient s'appuyer sur des méthodes traditionnelles moins efficaces.2

Pourtant, les revenus générés par les paiements pourraient entraîner une meilleure qualité des soins, une diminution de la dépendence envers les bailleurs de fonds et un financement soutenable amélioré pour des programmes particuliers de planification familiale. Les tarifs pourraient être utilisés afin d'élargir l'accès aux services, selon les défenseurs. Dans le secteur publique, les tarifs peuvent orienter les clients à des points de services moins coûteux (des pharmacies au lieu de dispensaires, des centres de santé au lieu d'hôpitaux). Les revenus peuvent apporter aux gestionnaires de programmes une plus grande flexibilité dans la planification des activités des dispensaires et plus de contrôle des politiques aux niveaux des services et des soins. Les prix fixés pour les clients salariés à un niveau moyen peuvent subventionner les services fournis aux gens pauvres et peuvent améliorer l'efficacité des services en encourageant la concurrence entre les secteurs publique et privé.3

En établissant des prix pour les services de planification familiale, les responsables de programmes doivent établir un équilibre. Ils doivent prendre en considération les besoins financiers du programme et la volonté et la capacité du client de payer. Les responsables doivent aussi prendre en considération la notion d'"élasticité". "L'élasticité" est un concept économique qui établit la relation entre la demande et la fluctuation des prix. Si une demande décroit rapidement à la suite d'une augmentation des prix, la relation est déclarée être "élastique". Si la demande est peu influencée, la relation n'est pas très élastique.

Certaines études de commercialisation sociale suggèrent que les couples sont prêts à payer environ 1 pour cent des leurs revenus pour la contraception.4 En fixant un système de prix, le Management Sciences for Health (MSH), un organisme situé aux Etats Unis qui fournit un appui technique aux programmes de santé dans les pays en développement, recommande que les prix des contraceptifs réflètent ceux d'autres produits de ménage. Dans la République démocratique du Congo (auparavant le Zaïre), un programme de planification familiale a décidé de fixer un droit mensuel d'inscription à un tarif qui ne devrait pas dépasser le prix de deux kilos de soja. Au Suriname, l'Association pour une parenté responsable a établi le prix annuel d'inscription en fonction du coût de 12 boissons non alcoolisées.5 D'autres recommandent qu'un dispensaire fasse payer l'entrée à un niveau qui est équivalent à un billet d'autobus ou de fixer le prix d'un cycle de contraceptifs oraux au coût d'un litre de boisson non alcoolisée.6

Un des soucis principaux dans la mise en oeuvre d'un système de paiements ou dans l'accroissement des prix est qu'il y aura une diminution dans l'utilisation de la contraception. L'AVSC Internationale a mené des recherches au Mexique, au Brésil et en République dominicaine afin d'examiner la relation entre l'augmentation des prix et le recours des clients à la stérilisation chirurgicale.7 Au Mexique, les centres de planification familiale dans les villes de Celeya, Juárez et Irapuato ont augmenté les prix pour faire face à une baisse dans le financement de bailleurs. Le prix d'une stérilisation chirurgicale a été augmenté de $43 US à $55 US, puis à $60 US quelques mois plus tard. Le niveau moyen mensuel d'interventions a diminué de 10 pour cent après la première augmentation, puis a chuté à 58 pour cent après le deuxième rehaussement. Certains membres du personnel ont constaté que moins de clients à faible revenu semblaient demander une stérilisation chirurgicale.

Afin de déterminer l'impact d'un rehaussement des prix sur l'utilisation de contraceptifs par les clients, le Centro Médico de Orientación y Planificación Familiar (CEMOPLAF) en Equateur a mené une étude unique qui avait pour but de comparer ce que les clientes ont indiqué qu'elles feraient avec ce qu'elles ont réellement fait quand les prix ont montés. L'étude a été réalisée avec l'assistance du Project INOPAL III du Population Council, du Futures Group International et de FHI.

Lors d'une enquête sur les revenus, les dépenses ménagères et le niveau d'éducation, environ 7.000 clientes désservies par 15 dispensaires CEMOPLAF ont été interrogées sur leur capacité de payer des prix plus élevés. On a aussi demandé aux clientes comment elles réagiraient si les prix pour un service étaient augmentés d'un certain pourcentage. Si une cliente répondait qu'elle continuerait à payer pour les services, on lui demandait quel était le maximum qu'elle payerait. Si une femme disait qu'elle ne pourrait pas payer, on lui demandait où elle irait pour obtenir des services de planification familiale moins chers.

Suite aux entretiens, les dispensaires ont été désignés au hasard à l'un de trois groupes. Dans un groupe, les prix des services tels que les soins prénataux, les soins obstétricaux et gynécologiques, et les visites de suivi pour l'insertion des dispositifs intra-utérins ont été augmentés de 20 pour cent. Dans le deuxième groupe les prix ont été augmentés de 40 pour cent, et dans le troisième groupe, de 60 pour cent.

Pendant une année, CEMOPLAF a surveillé les consultations en dispensaire afin de déterminer si l'accroissement des prix provoquerait une baisse dans le nombre de clientes demandant des services. En plus, CEMOPLAF a vérifié la composition économique des clientes afin de découvrir l'effet de l'augmentation des prix sur l'utilisation de services par des clientes à faible revenue.

Les résultats préliminaires ont montré qu'il y avait une baisse dans le nombre de visites en dispensaire mais que la composition économique de la clientèle n'avait pas changé. Le pourcentage en baisse était semblable pour les trois groupes de dispensaires. Dans le groupe pour lequel les prix avaient monté de 20 pour cent, les visites au dispensaire avaient baissé de 20 pour cent. Dans le groupe pour lequel les prix avaient monté de 40 pour cent, la baisse était légèrement plus haute, à peu près 26 pour cent. (Aucune donnée n'a été recueillie sur les femmes ayant choisi d'obtenir des services ailleurs.) Cette étude sera répétée à l'Asociación Pro Bienestar de la Familia Ecuatoriana (APROFE), une autre ONG équatorienne.

Des études antérieures voulant déterminer l'impact du changement des prix sur l'utilisation de la contraception ont fourni des résultats mixtes, dus en partie à l'utilisation de différentes méthodologies de recherche, explique le docteur Janowitz.8 Cependant, l'étude équatorienne comparant ce que les clientes disaient et ce qui réellement a eu lieu dans les dispensaires est une recherche fondamentale qui peut apporter des informations utiles aux gestionnaires de programmes et aux décideurs de politiques de santé, précise-t-elle.

Combien faut-il percevoir

Les gestionnaires de programmes de planification familiale doivent prendre en considération l'effet du système de tarifs sur la demande des clientes. Toutefois, les responsables doivent aussi prendre en considération l'effet des systèmes de tarifs sur les revenus du dispensaire.

"Il y a plusieurs questions importantes à se poser lorsqu'on considère le paiement des clients," fait observer le docteur Janowitz de FHI. "Premièrement, est-ce que la mise en place ou l'augmentation de tarifs est un générateur efficace de revenus ? Quel effet auront les tarifs sur le nombre de clients qui obtiennent les services de votre part ? Comment les tarifs vont-ils modifier la composition de la clientèle ? Si vous faites payer ou augmentez les prix, est-ce que vous priveriez les gens au niveau bas de l'échelle de revenus pour ne servir que ceux de la bourgeoisie ? C'est un souci."

Par exemple, est-ce que le programme va faire payer pour toutes les méthodes contraceptives ou seulement certaines méthodes ? Est-ce qu'un paiement sera perçu sur les méthodes, les services ou les deux ? Est-ce que le niveau des tarifs sera variable à différents moments de la journée afin d'encourager l'utilisation des services quand le personnel est moins chargé ?

"La première leçon à apprendre lorsqu'on met sur pied un système de tarifs est la valeur de chaque chose," estime Alvaro Monroy, directeur du Projet de transition de la Fédération internationale pour la planification familiale (IPPF) de la région de l'hémisphère occidental, lequel apporte de l'aide aux associations de l'IPPF afin de compter moins sur les bailleurs de fonds. "Même les produits fournis par un don de la part des bailleurs de fonds ont leur coût. Par exemple, pour une plaquette de pilules (d'un don) il y a des coûts administratifs, les coûts du personnel, les coûts qui subviendront quand ce produit est remplacé par un autre. Un bon système de comptabilité est essentiel."

"Les gestionnaires de programmes doivent comprendre les coûts unitaires," souligne Sallie Craig Huber, directrice technique de Family Planning Management Development Project à MSH, qui a travaillé avec des ONG africaines en vue de les aider à établir un système de tarifs pour les services de santé. "Combien de minutes le personnel passe-t-il à fournir un service et quelle est la valeur de ce temps ? Quels sont les coûts fixes du programme, les frais généraux ? Quels sont les coûts réels pour les produits contraceptifs ? Les programmes doivent comprendre combien cela leur coûte de fournir un service et comment mettre cette information en équation avec ce qu'ils font payer pour un service."

FHI travaille avec des ONG dans des pays en développement, aidant les programmes de planification familiale à mesurer les coûts. Par exemple, FHI travaille avec l'Asociación Demográfica Salvadoreña au Salvador pour développer une politique de paiement en fonction de la capacité financière du client, les prix des concurrents et les coûts des services. Le Population Council, APROFE et FHI ont mené une étude semblable en Equateur.

"Beaucoup d'ONG demandent déjà un paiement, mais les prix ont été établis sur des bases peu scientifiques," déclare John Bratt, associé principal en recherche à FHI qui travaille sur les questions de coût en Amérique latine. "Il se peut qu'au début les prix aient été fixés de manière symbolique afin de recouvrir une partie du coût des services. Dans bien des cas, les ONG ne savent pas ce que ça coûte réellement de fournir des services."

Pour les programmes qui envisagent la mise en oeuvre d'un système de paiement, le Futures Group International recommande de prendre en considération les contraintes politiques, réglementaires et institutionnelles liées aux tarifs (par exemple, les lois ou règlements qui interdisent la vente aux clients de produits provenant de dons). Il recommande aussi l'établissement de priorités dans l'utilisation des revenus, la création de moyens pour protéger les clients pauvres qui ne pourraient même pas payer un tarif bas et de suivre de près comment l'argent est perçu et dépensé.9

MSH recommande que les gestionnaires de programme se posent différentes sortes de questions lorsqu'ils envisagent un système de paiement, y compris l'objectif à atteindre avec les revenus (élargir les services, par exemple, ou compter moins sur les fonds provenant des bailleurs ou du gouvernement). Parmi d'autres considérations importantes figurent les moyens des clients de payer pour les services et leurs perceptions de la qualité des soins.10

L'avis aux clients que des tarifs seront mis en place ou que les prix vont augmenter doit se faire des mois à l'avance, conseille le MSH. Les programmes doivent également expliquer comment les paiements vont améliorer les services. Par exemple, un programme pourrait utiliser les revenus pour réduire le temps d'attente ou offrir des heures plus convenables, et une liste de ces améliorations pourrait être affichée dans les salles d'attente.

Une fois ques les tarifs ont été mis en place ou augmentés, les gestionnaires de programmes devraient déterminer comment ces changements ont modifié l'utilisation par les clients, recommande l'organisation américaine John Snow, Inc. Une comparaison doit être faite entre les niveaux d'utilisation des services par les clients six mois avant la mise en oeuvre des tarifs, et quelques mois après que le système de tarifs a été mis en place afin de déterminer l'impact des prix sur la demande.11 Ce genre de comparaison avant et après a été réalisé pendant l'étude du CEMOPLAF sur la capacité des clients et leur volonté de payer.

Un autre souci pour les gestionnaires de programmes est comment subventionner les services pour les clients qui n'ont pas les moyens de payer. Au Pérou, l'Instituto Peruano de Paternidad Responsable (INPPARES) a mis en oeuvre une échelle mobile pour éliminer ou réduire les tarifs pour les clients à faible revenu. Le Marie Stopes/Population Health Services Program au Kenya a développé une liste de contrôle pour aider les gestionnaires de programme à déterminer si les clients devraient être exempts de payer. Les mères pauvres sans emploi ou travaillant pour un salaire très bas étaient dispensées de payer, ainsi que les femmes ayant une grande parité qui n'avaient pas les moyens pour payer, les clientes propriétaires de moins de 400 mètres carrés de terrain, les lycéens ou étudiants d'universités, et les travailleurs sur les plantations de café ou thé.12

Mais le docteur Janowitz de FHI met en garde que l'établissement d'exemptions pose des problèmes. "Ce n'est pas facile de les faire fonctionner," explique-t-elle. "Si les critères sont trop stricts, ceux qui doivent obtenir les services ne les auront pas. Si les critères sont trop indulgents, vous allez inclure ceux que vous ne voulez pas." En plus, cette approche peut être coûteuse à gérer, et peut amener à des problèmes si les clients découvrent que des tarifs différents sont perçus pour un même service.

Une stratégie pour s'assurer que les gens pauvres continuent à avoir accès à la planification familiale est la "subvention croisée". Des tarifs pour d'autres services de santé, comme les analyses de laboratoire, sont utilisés pour subventionner les services de planification familiale. Depuis 1991, CEMOPLAF en Equateur a établi 20 laboratoires, qui fournissent 35 services différents, y compris les frottis de Papanicolao, les analyses pour les maladies sexuellement transmissibles, les tests de grossesse, les analyses sanguines pour mesurer le niveau de cholestérol, et les analyses pour déterminer la présence de parasites dans l'appareil digestif. Le bénéfice obtenu sur les services de laboratoire est de 47 pour cent, et ces revenus aident à financer les services de planification familiale.13


Network, Hiver 1998, Volume 18, Numéro 2 .
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© Copyright 1999, Family Health International (FHI)



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