Profession commercial Stress et état dépressif chez les professionnels de la vente
Le point complet sur profession commercial stress et état dépressif chez les professionnels de la vente : .
Profession commercial
Stress et état dépressif chez les professionnels de la vente. Relations santé-travail.
(Enquête transversale, 1999)
Dr Marie Hélène Royfe, Dr Pierre Tichadou
Service de Médecine du Travail Interentreprises 14 rue de Vingré 03200 Vichy
Juillet 2001
1. Protocole.
Lors des visites médicales systématiques du travail, les auteurs avaient noté l'importance inhabituelle des doléances des commerciaux concernant leur environnement de travail. Ils ont souhaité valider cette impression "macroscopique" au travers d'une enquête "exposés-non exposés", afin d'analyser les problèmes de santé de ce groupe professionnel, notamment sur le plan anxiodépressif.
La population concernée comprend les preneurs d'ordre, les VRP exclusifs ou multicartes, les délégués médicaux, attachés commerciaux, technico-commerciaux et tous les salariés dont la fonction est d'aller à l'extérieur de l'entreprise pour provoquer ou prendre des commandes.
Ils sont comparés à des employés de bureau, techniciens, agents de maîtrise ou cadres dont les caractéristiques sont la complète sédentarité et l'absence totale d'activité commerciale, notamment de télévente. Les ouvriers et assimilés sont exclus de l'enquête. En dehors de l'appartenance à des groupes socioprofessionnels voisins, l'appariement des 2 groupes, numériquement identiques, a porté sur le sexe et l'âge, à + ou - 2 ans.
Six médecins ont participé à l'enquête qui s'est déroulée sur 12 mois.
L'étude comportait 3 niveaux de recueil de renseignements, uniquement reliés par un numéro d'identification :
- un auto questionnaire d'évaluation de l'état anxio-dépressif : l'échelle HAD (Hospital Anxiety and Depression Scale) de Zigmond et Snaith (1983) prend en compte conjointement les symptômes anxieux et dépressifs (7 items côtés de 0 à 3 pour chacune des 2 dimensions). Il s'agit d'un instrument standardisé, validé (Lépine et coll. 1985), simple, rapide et bien adapté. La dimension anxieuse inclut notamment la tension intérieure, les préoccupations, la panique. La dimension dépressive est centrée sur le concept d'anhédonie (capacité ou non à éprouver le plaisir). Ce questionnaire permet d'avoir des applications d'ordre diagnostique. Ainsi le diagnostic d'état anxieux ou de dépression est-il douteux entre 8 et 10 et quasiment certain à partir de 11.
- une fiche de saisie médicale comportant des renseignements biométriques (taille, poids, IMC), et des informations concernant les consommations de tabac et d'alcool, la prise d'un traitement à visée neuropsychique, la qualité du sommeil, la tension artérielle et la pathologie récurrente.
- un questionnaire professionnel d'une quarantaine d'items, élaboré avec des professionnels de la vente.
L'étude porte sur une population cible de 220 " commerciaux " comparée à une population témoin de 220 " non commerciaux ".
Le logiciel statistique utilisé est EPI-INFO version 5.01b, avec comparaison des moyennes pour les variables quantitatives et test de khi2 pour les variables qualitatives.
2. Résultats de l'étude comparative des 2 groupes.
2.1 niveau d'anxiété. échelle 0-21
moyennes | VRP | témoins | |
9,05 | 7,43 | @=4,76 p<1% | |
score A | VRP | témoins | |
0-7 | 39% | 56% | normal |
8-10 | 26% | 24% | état anxieux douteux |
11-21 | 35% | 20% | état anxieux avéré |
prévalence | RR | 1,8 | p<0,1% *** |
IC | 1,33<>2,44 |
1 commercial sur 3 présente un niveau d'anxiété élevé contre 1 témoin sur 5.
2.2 niveau dépressif. échelle 0-21
moyennes | VRP | témoins | |
4,48 | 3.25 | @=4,39 p<1% | |
score D | VRP | témoins | |
0-7 | 81% | 94% | normal |
8-10 | 11% | 6% | état dépressif douteux |
11-21 | 8% | - | état dépressif avéré |
prévalence | RR | 2.93 | p<0,1% *** |
IC | 1,64<>5.22 |
on retrouve 3 fois plus de commerciaux à tendance dépressive que de témoins.
2.3 indice de masse corporelle.
moyennes | VRP | témoins | |
26.08 | 24.73 | @=3.79 p<1% | |
IMC | VRP | témoins | |
18.5-24.9 | 41% | 56% | poids parfait |
25-29.9 | 42% | 38% | surpoids |
30+ | 17% | 6% | obésité |
prévalence | RR | 3.07 | p<0,1% *** |
IC | 1,71<>5.51 |
on retrouve 3 fois plus de commerciaux obèses que de témoins.
2.4 consommation de tabac.
moyennes | VRP | témoins | |
7.89 | 3.23 | nombre de cigarettes/jour | |
VRP | témoins | ||
non fumeur | 58% | 75% | |
1-15 cig/j | 17% | 18% | |
16+ | 25% | 7% | |
prévalence | RR | 1.66 | |
fumeurs/non fumeurs | IC | 1,26<>2.18 p*** | |
prévalence | RR | 3.36 | |
gros fumeurs/non fumeurs | IC | 2<>5.64 p*** |
2.5 divers.
Les commerciaux consomment plus d'alcool (RR 2,8 p* IC 1,03<>7,64), plus de somnifères (NS), ils dorment moins bien (RR 2,36 p*** IC 1.58<>3.52) .
Les médecins enquêteurs ont retrouvé plus de pathologies (RR 1,78 p** IC 1,21<>2,63), en particulier troubles lipidiques, ulcères et colopathies, dorsolombalgies.
En revanche, aucune différence n'a été retrouvée concernant la tension artérielle.
3. Etude spécifique des commerciaux.
3.1 portrait robot de la population étudiée.
Il s'agit le plus souvent d'un homme, marié dans 80% des cas. Il est âgé de 40 ans, son ancienneté est de 11ans, il travaille 49 heures par semaine et fait 51000 kms par an. Son niveau de formation est très variable et dépend notamment de l'ancienneté de son recrutement. De niveau volontiers Bac+2+4 pour les plus jeunes, sa formation est souvent inférieure au Bac pour les plus anciens.
Son mode de rémunération (fixe seul, fixe+commission ou commission seule) est variable, mais on retrouve dans 62% des cas la formule " fixe+commission ". Il a une activité de conseil et de vente, ses rapports avec la clientèle sont bons, il travaille en équipe 1 fois sur 2. Il n'a pas de secrétariat mais la liberté d'organisation de son travail et son autonomie commerciale sont plutôt bons. Il se dit fait pour ce métier à une écrasante majorité (93%).
60% ne dorment jamais à l'hôtel (la moyenne est de 1 nuit par semaine et de 4 repas au restaurant).
Il apprécie la liberté et les contacts humains conférés par sa profession sur laquelle il ne se fait par ailleurs pas d'illusion :
40% d'entre eux envisagent de changer de poste dans les 2 ans à venir, soit par le biais d'une promotion interne pour la moitié d'entre eux, soit en quittant définitivement l'entreprise pour l'autre moitié.
Il est moyennement sportif (38% ont une activité physique assez régulière) et consacre 10 heures hebdomadaires à ses loisirs.
Les femmes sont peu nombreuses dans notre étude (16%). Leur statut familial est différent de celui de leurs collègues masculins : elles vivent deux fois plus souvent seules, (RR 2, p**). De recrutement plus récent, il semble qu'elles s'investissent dans leur profession (plus de responsabilités d'animation ou d'encadrement, plan de carrière jugé motivant à 69% vs 46% chez les hommes). Pourtant elles ont moins souvent le statut de cadre (12% vs 31%).
Elles ont plus de mal à se détendre le soir après le travail, mais il est vraisemblable que les taches ménagères en soient pour partie l'explication.
3.2 facteurs discriminants.
Cooper (11) et Arsenault (12) ont mis en évidence les agents stresseurs et leurs interactions au sein de l'entreprise. Sont décrits les facteurs inhérents à la tache (ambiance physique, aménagement du temps de travail et charge de travail), le rôle de l'individu dans l'organisation et ses responsabilités, les perspectives de carrière (insécurité de l'emploi, absence de promotion ou promesses non tenues), les relations inter-personnelles et le contexte socio-économique de l'entreprise. Karasek (16) développe un modèle à 2 dimensions, d'une part les exigences mentales de la tache et d'autre part les possibilités dont dispose le salarié pour gérer ces contraintes, ce qu'il nomme " latitude décisionnelle ".
L'ensemble de ces composantes semble avoir été bien pris en compte dans cette enquête.
Les auteurs n'ont pas observé de différence significative du niveau de stress des commerciaux que ce soit en fonction de leur âge, sexe, statut familial, niveau de formation ou selon des caractéristiques liées à leur emploi telles que durée de travail, nombre de kilomètres parcourus, statut professionnel, travail en équipe, liberté d'organisation ou même rémunération.
Par contre le niveau de stress est significativement moins élevé chez ceux :
- qui jouissent d'une liberté de décision (RR 1,31 p*)
- qui bénéficient " d' un bon soutien " de la part de leur hiérarchie (RR 1,69 p***).
- qui estiment avoir un bon contact avec la clientèle (RR 1,45 p**).
- qui considèrent leur situation plutôt stable (RR 1,95 p***).
4. Discussion.
Les auteurs estiment que le biais de sélection lié au refus de réponse ne peut pas être retenu (98,5% des salariés ont répondu). Les biais inhérents à la subjectivité des réponses et à " l'effet médecin " (concernant notamment la saisie des pathologies et l'estimation des consommations alcoolisées) n'ont bien entendu pas pu être évités mais le choix de variables quantitatives standardisées permettant l'évaluation du niveau d'anxiété et de dépression nous paraît rendre pertinente l'approche exposés-non exposés.
Un certain nombre de salariés échappent à la visite annuelle, soit parce qu'ils ne travaillent pas au moment de la convocation (chômage) soit parce qu'ils sont en maladie. Ce biais ne peut que renforcer les résultats de l'enquête puisque cette population est composée pour partie de personnes dont le stress ou la dépression sont à l'origine de leur perte de travail ou de l'arrêt maladie.
Ils rappellent la cohérence de leurs résultats avec ceux de la littérature, notamment l'enquête (7) menée par le Club Européen de la santé et l'Inserm en 1990/1991, ainsi que l'étude transversale doublée d'une étude longitudinale (5 et 6), réalisée par Boitel (CISME) en relation avec l'Inserm, concernant la durée estimée du temps hebdomadaire de travail (49<>51 heures), le kilométrage annuel parcouru (44000 <> 51000), le mode de vie (4<>5 repas au restaurant par semaine), les surconsommations significatives de tabac et d'alcool, les principales pathologies (rachialgies, ulcères gastriques et troubles métabo-liques), la mauvaise qualité du sommeil et la surconsommation de médicaments (somnifères et " remontants ").
5. Conclusions.
Les auteurs estiment que l'étude qu'ils ont menée confirme le phénomène préssenti. Les forces de vente ont incontestablement de grandes difficultés à suivre le rythme féroce du management du " toujours plus ", plus de chiffre, compétitivité et objectifs sans cesse révisés à la hausse.
35% des commerciaux étaient dans un état d'anxiété avéré et 8% développaient un état dépressif parfois sévère.
Dans la population témoin étudiée (personnel sédentaire et n'ayant pas d'activité commerciale), le niveau d'anxiété est inférieur de 15 points et on ne retrouve aucun état dépressif grave.
L'état de santé des commerciaux semble se dégrader plus vite, les effets induits du surpoids, du tabagisme et vraisemblablement des euphorisants seront à mesurer dans quelques années.
L'étude plus spécifique de la profession n'a en revanche pas apporté d'éléments décisifs. En particulier elle n'a pas permis de mettre en évidence l'incidence du salaire et des différents modes de rémunération sur l'excès d'anxiété ou de déprime.
Pourtant, devant le peu de facteurs explicatifs, les auteurs ont tendance à voir un effet de dilution des divers paramètres étudiés, laissant à penser que le " mal " est sans doute plus profond et l'explication loin d'être univoque.
Du fait de l'importance des problèmes de santé et particulièrement des difficultés psychologiques directement liées à l'exercice de la profession, notamment dans le domaine du secteur bancaire et de l'assurance, ils pensent que des enquêtes de plus grande envergure devraient être mises en Suvre rapidement. Les grands regroupements qui ont lieu actuellement dans ces secteurs d'activité génèrent des situations de quasi détresse qui sont loin d'être exceptionnelles.
Le médecin du travail, à côté du suivi individuel des salariés à leur poste de travail, accomplit ainsi pleinement sa mission de veille et d'alerte en matière de santé publique. Bibliographie L es auteurs anglo-saxons ont beaucoup publié sur le stress chez les conducteurs routiers et les conducteurs de car urbain. En revanche, il n'existe que peu d'études sur le stress et la dépression chez les professionnels de la vente.
1 Archives des maladies professionnelles vol 58, n°3, mai 1997. Evaluation du stress professionnel d'une population de chauffeurs routiers et de témoins. Enquête sur le stress aux AGF.
2 11ème congrès mondial de prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles Stockholm mai 1987. Les représentants de commerce.
3 Millischer. La fatigue des VRP, CMI 1973 n°50.
4 Xardel. La vente. Que sais-je ? PUF 1984.
5 INSERM-ASMT. Les forces de vente. Etude transversale. Document 7/1990.
6 INSERM-ASMT. Les forces de vente. Etude longitudinale. Document 10/1992.
7 E. Rebstock, INSERM, Boitel et Demogeot, APREMET. Stress et psychopathologie du travail dans le secteur tertiaire 1990 1991. 8 M.F. Rolland-Cachera, INSERM. Le surpoids en pratique quotidienne.
9 A.Hirsch. La santé en France (rapport du Haut comité de la santé publique) 1994.
10 P.Logeay et C.Gadbois. Méthodologie de l'analyse des effets psychopathologiques des situations de travail.
11 Cooper occupational stress. Issues and developments in research 1988.
12 Arsenault. Les stresseurs au travail CAMIP 103, 1986.
13 Lévy. Le stress dans l'industrie BIT Genève.
14 Archives des maladies professionnelles vol 52, n°4, 1991. XXI es journées nationales de médecine du travail. Santé mentale en milieu de travail, Rouen juin 1990.
15 Cren, Dumont, Bardot, Lasfargues. Relation entre organisation du travail et santé mentale des salariés du tertiaire. Revue de médecine du travail, tome XXIII, N°3, 1996.
16 Karazek et coll. Job decision latitude Am J.Publ.Health 1981, 71, 694-705.
17 Lepine et coll. L'épidémiologie des troubles anxieux et dépressifs dans une population générale française. Confrontations psychiatriques, 1993, 35, 1-23.
18 L'échelle HAD de Zigmond et Snaith 1983.
Descripteur MESH : Travail , Santé , Population , Anxiété , Liberté , Dépression , Médecine du travail , Tabac , Maladies professionnelles , Rémunération , Médecine , Santé publique , Physique , Maladie , Repas , Restaurant , Emploi , Santé mentale , Sexe , Sommeil , Surpoids , Temps , Archives , Médecins , Rôle , Personnes , Panique , Plaisir , Prévention des accidents , Psychopathologie , Quarantaine , Vie , Tabagisme , Troubles anxieux , Accidents , Environnement , Accidents du travail , Anhédonie , Assurance , Biais de sélection , Bibliographie , Charge de travail , Chômage , Commerce , Conseil , Diagnostic , Éléments , Objectifs , Épidémiologie , État de santé