Peut-on vraiment ne pas supporter le lait ?

Un entretien avec le Dr Francis Raul

 

L’idée qu’on puisse «ne pas tolérer le lait» est des plus répandues. Pourtant, si l’on en croit les chercheurs, elle appartiendrait plus au dictionnaire des idées reçues qu’au registre des faits scientifiques établis. Il existe bien des intolérances héréditaires au lactose (le sucre du lait), mais elles sont extrêmement rares. Il est vrai par ailleurs que la capacité de digérer le lactose diminue à l’âge adulte, mais cela n’empêche pratiquement jamais de boire du lait, et encore moins de consommer d’autres produits laitiers, plus pauvres en lactose…

Avec le Dr Francis Raul, Directeur de recherche à l’INSERM, Université Louis Pasteur, Strasbourg, Nutri News fait le point sur ce que l’on sait aujourd’hui de l’intolérance au lactose.

Dr Francis Raul, Directeur de recherche à l’INSERM, Université Louis Pasteur, Strasbourg,

Nutri News: On entend dire relativement souvent: «mon enfant ne supporte pas le lait». Qu’est-ce que cela veut dire pour le scientifique que vous êtes ?

Dr F. Raul: L’intolérance dont on parle n’est pas une intolérance au lait, mais à son sucre: le lactose. Celui-ci pour être digéré, exige la présence d’une enzyme intestinale, la lactase. Il existe des cas extrêmement rares, où cette enzyme fait défaut. Le déficit congénital en lactase est une anomalie héréditaire qui se manifeste dès la naissance: elle provoque des diarrhées et demande à être diagnostiquée à temps, pour éviter tout risque de déshydratation sévère. Les nouveau-nés doivent être nourris avec un lait délactosé et, plus tard, ils devront avoir une alimentation sans lactose. Encore plus rares sont les cas d’intolérance familiale sévère au lactose. Il s’agit, là encore, d’une anomalie héréditaire: l’enfant, cette fois, a l’enzyme nécessaire pour digérer le lactose, mais c’est la muqueuse de son estomac qui, tout en étant par ailleurs normale, laisse passer le lactose. Profitant de cette perméabilité, celui-ci passe dans le sang, dans les urines, sous une forme non digérée, et provoque une intoxication de l’organisme. Là encore, les troubles disparaissent si l’on supprime le lactose du lait.

Dr F. Raul:

NN: Très peu de nourrissons sont dans ces situations, dites-vous. Qu’est-ce qui explique alors que l’on parle tant de ces enfants qui «ne tolèrent pas» le lait ?

Dr F.R.: Chez le nouveau-né, la cause la plus fréquente de l’intolérance au lactose est en fait un effet secondaire de certaines maladies. Celles-ci viennent perturber la muqueuse intestinale, alors même que la lactase est bien présente pour digérer le sucre du lait. On peut citer ainsi comme facteurs de trouble: l’intolérance au gluten, l’allergie aux protéines, les diarrhées d’origines virales ou bactériennes, les infections parasitaires, la malnutrition, certaines maladies inflammatoires, voire aussi des médicaments comme certains antibiotiques… Autant d’éléments qui peuvent empêcher temporairement l’activité de la lactase et contrarier la digestion du lait. Ce phénomène est parfaitement réversible dès que l’on guérit la maladie.

Dr F.R.:

NN: Qu’en est-il alors chez les adultes? Certains d’entre eux, là encore, se plaignent de problèmes avec le lait…

Dr F.R.: On rencontre là une réalité physiologique, qui est à la fois relative, explicable et maîtrisable. Il faut savoir que tous les mammifères, après le sevrage, voient normalement diminuer l’activité de la lactase. Chez les humains, les trois quarts environ des adolescents et des adultes connaissent une telle diminution. L’enzyme est toujours présente, mais son efficacité n’est plus que de 10 % de ce qu’elle était chez le nourrisson. Il s’agit d’un phénomène tout à fait normal, et c’est bien plutôt le maintien de l’activité de la lactase qui est une exception! Jusqu’aux années 60, on pensait que celle-ci devait se maintenir toute la vie: d’où peut-être l’importance que l’on a pu donner à ces «intolérances», que l’on trouvait très nombreuses.

Dr F.R.:

NN: Quelles sont les conséquences de cette diminution de la capacité de digérer le lactose à l’âge adulte ?

Dr F.R.: Elles sont très variables, et bien souvent passent inaperçues des principaux intéressés! L’activité de la lactase diminue, mais il en reste toujours. Certaines personnes supportent jusqu’à 50 g de lactose, d’autres sont intolérantes avec 3 g… Ces dernières risquent évidemment plus d’avoir des troubles digestifs, des ballonnements, des diarrhées… Mais dans la plupart des cas, aucun problème n’est signalé.

Dr F.R.:

NN: Y a-t-il précisément des produits laitiers mieux tolérés que d’autres, en raison par exemple de leur faible teneur en lactose ?

Dr F.R.: Le lait entier contient 5 % de lactose. Les yaourts, la crème fraîche ou les crèmes glacées en contiennent 3 à 4 %. Le lait est l’aliment qui risque d’être le moins bien toléré, surtout parce qu’il passe très vite dans l’estomac. Du moins bien toléré au mieux toléré, on trouve d’abord le lait écrémé, puis le lait demi-écrémé, puis le lait entier, le lait entier chocolaté et les préparations à base de lait… Plus le lait est «complexe» et plus il fait l’objet de préparations diverses, moins vite il passe l’estomac et moins il cause de problèmes d’intolérance. Les fromages sont à l’abri du risque, car lors de leur fabrication, l’égouttage élimine une grande partie du lactose, et l’affinage ensuite le transforme, grâce à l’action des bactéries qui le «digèrent». Un fromage affiné ne contient donc pas ou très peu de lactose. Quant aux yaourts, ils passent eux aussi plus lentement dans l’estomac, et les bactéries qui font partie de leur composition transforment le lactose pour le rendre digeste…

Dr F.R.:

NN: A part un choix judicieux des produits laitiers, y a-t-il des solutions qui permettraient aux personnes «sensibles» d’éviter tout problème ?

Dr F.R.: Aux personnes très «sensibles», c’est-à-dire dont l’activité lactasique est très diminuée, on peut conseiller de ne pas consommer de lait à jeun. Il suffit de prendre les laitages avec les repas pour retarder leur passage dans l’estomac. La présence d’autres aliments atténue ou fait disparaître l’éventuelle difficulté à absorber le lactose. Un repas solide ralentit la digestion, prolonge le transit du lactose et diminue sa concentration dans l’intestin. La présence de lipides favorise aussi la digestion du lactose (c’est pourquoi le lait entier est mieux toléré que le lait écrémé). Dans les conditions d’un repas complet, les signes d’intolérance au lactose peuvent ainsi complètement disparaître.

Dr F.R.:

NN: En somme, la véritable intolérance est rarissime, et il n’y a pas de raisons de s’inquiéter ?

Dr F.R.: Trop de personnes le font quand même malgré elles: par ignorance, par autosuggestion, pour des raisons subjectives. Cela serait sans gravité si les prétendues intolérances ne pouvaient conduire à une diminution drastique de la consommation de produits laitiers, et donc à un déficit d’apports calciques. Le calcium est nécessaire à tous les âges de la vie, et le manque de calcium est à l’origine de graves problèmes osseux, surtout à mesure que l’on avance en âge. Les produits laitiers sont donc indispensables, et des travaux récents suggèrent même que l’absorption du calcium du lait et des produits laitiers est meilleure chez ceux dont l’activité de la lactase est diminuée. Ils auraient donc doublement tort de s’en priver. Encore leur appartient-il de trouver la «dose» qui leur convient. La plupart des personnes dont l’activité lactasique est diminuée tolèrent sans aucun trouble 12 g de lactose par jour, c’est-à-dire l’équivalent d’un quart de litre de lait (250 ml). Et cette tolérance est encore meilleure s’ils mangent quelque chose en même temps: avec des céréales, les mêmes personnes peuvent consommer jusqu’à 360 ml de lait! Encore ne parle-t-on ici que du lait, aliment réputé le plus «problématique». Il reste tous les autres laitages, de digestion plus facile, et bien sûr le plateau de fromages! En pratique, il est possible d’assurer des apports calciques alimentaires adéquats à chaque tranche d’âge: enfants et adolescents bien sûr, mais aussi adultes et personnes âgées…

Dr F.R.:

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