Les pesticides : protection des cultures pour une protection du consommateur

Voici à nouveau les produits phytosanitaires sur le devant de la scène médiatique, c'est un phénomène périodique mais qui semble cette fois se manifester avec davantage d'insistance depuis la publication par la Direction de la Santé et de la Protection des Consommateurs de la Commission Européenne (DG SANCO) au mois de juin dernier des résultats de 17 évaluations nationales (15 états de l'Union plus la Norvège et l'Islande) effectuées en 1999 concernant les résidus de produits de protection des plantes dans les denrées d'origine végétale (fruits, légumes et céréales). Ce rapport met à l'index la France en la plaçant au rang des mauvais élèves avec un taux d'échantillons non conformes de 8% (dépassement des limites maximales de résidus - LMR autorisées) soit environ deux fois supérieur à la moyenne européenne. Ces résultats, considérés en première analyse, sont assez surprenants et peuvent inquiéter légitimement les producteurs et les consommateurs. Il convient cependant de ne pas céder à la psychose et d'indiquer que lorsqu'un produit phytosanitaire est autorisé à être mis sur le marché, c'est après un examen de passage extrêmement sévère, notamment en ce qui concerne les risques toxicologiques et que si les Bonnes Pratiques Agricoles Critiques sont respectées, la sécurité des du consommateur est assurée au mieux, en l'état actuel des connaissances scientifiques, tout en ayant présent à l'esprit que le risque zéro n'existe pas.

Le Dossier d'Homologation

L'autorisation de mise sur le marché (AMM) d'un produit à usage phytosanitaire est demandée par le manufacturier aux diverses instances nationales, européennes ou internationales après constitution d'un dossier de demande d'homologation qui doit argumenter en particulier deux rubriques : l'efficacité et l'innocuité. Ce dossier doit apporter la preuve que le produit est efficace sur le ou les ravageurs visés sur la ou les cultures pour lesquelles l'usage est demandé et dans des conditions d'utilisation précises. Ces éléments constituent le dossier biologique qui est examiné en France par le Comité d'Homologation constitué d'experts et de représentants des Ministères. Ce dossier doit également comporter tous les éléments prouvant l'innocuité du produit : c'est le dossier toxicologique qui doit comporter toutes les données concernant l'identité et les propriétés physico-chimiques de la molécule, le détail des études des toxicités aiguë, à moyen et long terme, les effets spécifiques sur la santé, des études de métabolisme dans divers milieux, d'écotoxicité, d'évaluation des niveaux résiduels dans les denrées, etc. Ce dossier est examiné par la Commission dite des Toxiques, plus spécialement chargée des produits phytosanitaires.

Après examen des dossiers et concertation des deux instances, le résultat est notifié au pétitionnaire sous la forme d'un refus (retrait), d'un maintien en étude sans autorisation de vente, d'une autorisation provisoire de vente, ou d'une homologation.

Au niveau européen, c'est la Directive 91/414 relative à la mise sur le marché des produits phytosanitaires (15 juillet 1991), qui établit la liste positive des matières actives autorisées dans la Communauté Européenne (Annexe I : liste - Annexe II : les dossiers - Annexe III : homologation des spécialités au niveau national avec principes uniformes, reconnaissance mutuelle des essais, comparabilité des conditions et possibilité d'autorisation provisoire nationale pour certains états membres). Cette Directive, entrée en vigueur en juillet 1993, s'applique à toute substance nouvelle, c'est à dire non autorisée dans au moins un état membre et s'applique rétroactivement aux substances anciennes (déjà autorisées) dans le cadre d'un programme de révision des substances existantes actuellement en cours (achèvement prévu en 2003). Cette dernière exigence aura en outre le mérite de " faire le ménage " parmi les matières actives peu ou pas utilisées actuellement. La Communauté Européenne a considérablement renforcé les exigences relatives aux résidus et elles doivent figurer dans le dossier d'homologation, il s'agit en particulier pour le pétitionnaire de fournir des données concernant :

- La nature et la quantité du résidu dans les végétaux traités

- La nature et la quantité du résidu dans les aliments d'origine animale

- Les effets de la transformation industrielle et /ou des préparations domestiques

- Les résidus dans les cultures suivantes

- Une proposition de définition du résidu réglementé et de LMR

- Une proposition de délai d'attente entre le dernier traitement et la récolte

- L'estimation de l'exposition potentielle ou réelle des consommateurs

Il apparaît donc à l'évidence que le dossier d'homologation déjà très argumenté a considérablement augmenté ses exigences en particulier celles concernant les données toxicologiques et les résidus dans les denrées alimentaires.

Les limites maximales de résidus (LMR)

La définition de résidu a été précisé par la Directive 90/642 CEE du 27 novembre 1990, puis traduite en droit français par l'arrêté du 5 août 1992 qui applique ce terme non seulement aux reliquats de la matière active, mais aussi, le cas échéant, aux produits de métabolisation, de dégradation ou de réaction.

La LMR est un paramètre réglementaire que l'on pourrait assimiler à la quantité maximale de résidu d'un produit donné qui ne doit pas être dépassée dans une denrée alimentaire donnée. Elle est proposée par le pétitionnaire dans le dossier d'homologation à partir d'études réalisées sur chaque culture pour laquelle un usage est sollicité, dans des conditions d'application et de prélèvements correspondants aux Bonnes Pratiques Agricoles Critiques, en nombre suffisant, bien dispersés dans le temps et dans l'espace. Après évaluation des résultats de ces études, un calcul statistique permet de calculer une LMR pour chaque culture faisant l'objet d'une autorisation d'usage.

En France, la LMR proposée était examinée par la "Commission des Toxiques" qui la transmettait à la DGCCRF qui la soumettait au Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France (AFSSA maintenant) et à l'Académie Nationale de Médecine, après ces divers avis elle était publiée au JO sous forme d'arrêté.

La Commission Européenne, à propos des LMR, a également renforcé les exigences réglementaires notamment en ce qui concerne l'harmonisation des LMR entre les états membres, la fixation des LMR dans les produits transformés et dans les produits destinés à l'alimentation des nourrissons et enfants en bas âge.

L'harmonisation des LMR au niveau communautaire est un processus initié il y a plus de 20 ans et qui se poursuit actuellement. Cette situation transitoire se traduit par l'existence de deux systèmes, l'un " semi-facultatif " dans lequel les LMR nationales sont supérieures ou égales aux LMR communautaires, l'autre dit " obligatoire ", dans lequel les LMR nationales sont identiques aux LMR communautaires et qui supplantera à terme le premier système. Ces données sont mentionnées dans les Directives 76/895 modifiée 97/41 (fruits et légumes), 86/362 modifiée 97/41 (céréales), 86/363 modifiée 98/82 (aliments d'origine animale) , 90/642 modifiée 98/82 (fruits et légumes et végétaux divers), 91/321 modifiée 99/50 (préparations pour nourrissons) et 96/5 modifiée 99/39 (préparations à base de céréales et aliments pour bébés).

Les LMR fixées sous les Directives 76/895 - 86/362 - 86/363 et 90/462 s'appliquaient aux produits frais, aux produits réfrigérés / congelés non cuits assimilés aux produits frais, aux produits séchés (fruits, légumineuses, thé, houblon) sans précision du facteur de concentration. Dorénavant l'existence d'une LMR pour produits frais légalise les résidus dans les produits transformés qui en dérivent, la LMR pour produits transformés sera déduite de la LMR pour produits frais, compte tenu des facteurs de concentration / dilution inhérents aux procédés et de la proportion du produit frais qui entre dans la préparation composite.

La réglementation européenne va plus loin en matière de résidus dans les denrées transformées et demande que soient apportés des informations sur les effets des préparations domestiques et des transformations industrielles sur la nature et l'importance des résidus et sur la possibilité de formation de " néo-résidus ", toxicologiquement significatifs, pouvant relever d'une évaluation spécifique du risque lié à leur présence.

On le voit, les exigences sont accrues puisque dans le dossier d'homologation devront figurer des informations sur le devenir des résidus au cours des procédés de transformation, qu'il s'agisse des substances nouvelles ou déjà homologuées avec la prise en compte de la formation éventuelle de néo-résidus.

En ce qui concerne l'alimentation infantile, les amendements 99/39 et 99/50 aux Directives précitées ont été transposés dans le droit des Etats Membres depuis le 30 juin 2000 et l'interdiction du commerce des produits non conformes entrera en vigueur le 1er juillet 2002. Ces Directives fixent pour les préparations à base de céréales et pour les aliments pour bébés destinés aux nourrissons et aux enfants en bas âge et pour les préparations pour nourrisson et préparations de suite, une LMR arbitraire et uniforme de 0,01 mg/kg pour toutes les substances sauf pour les substances bénéficiant d'une limite spécifique et pour les substances ne devant pas être utilisées sur les produits agricoles destinés à la préparation des aliments concernés.

On peut noter ici aussi que cette exigence est sévère puisque dans beaucoup de cas la valeur de 0,01 mg/kg est égale ou proche de la limite de détection analytique.

La dose journalière admissible (DJA)

Les produits phytosanitaires sont des biocides destinés à tuer ou à stopper le développement des ravageurs. Ils agissent sur les organismes cibles grâce à des mécanismes d'action divers et nombreux : inhibition d'enzymes impliquées dans la neurotransmission ou la signalisation hormonale, blocage de voies métaboliques, inhibition de la synthèse des protéines et des acides nucléiques, interférence dans le processus photosynthétique, etc… De ce fait, ils peuvent avoir des effets sur les organismes non-cibles relevant du même mécanisme d'action ou présenter d'autres effets qualifiés de secondaires et ne relevant pas de ce mode d'action.

Il faut donc connaître tous ces effets toxicologiques et c'est le but des études de toxicité qui constituent le dossier toxicologique dont nous avons déjà parlé. Nous n'insisterons jamais assez sur la complexité de ces études qui sont très exhaustives, il n'est pas possible de les détailler dans ce contexte, mais à l'issue de ces études - avec les connaissances scientifiques actuelles et les moyens d'investigation disponibles à ce jour - le "profil toxicologique" complet du produit doit être connu dans tous ses aspects : toxicité aiguë, subchronique, chronique, effet tératogène et sur la reproduction, mutagénèse, cancérogénèse, génotoxicité, impact sur les cellules, tissus, organes et systèmes, etc.

A partir de l'ensemble de ces données toxicologiques, on dégage un paramètre essentiel la Dose Journalière Admissible que l'on peut définir par la dose de produit qu'un individu peut ingérer chaque jour pendant toute sa vie sans qu'il en résulte d'inconvénient pour sa santé. Elle s'exprime en poids de substance par unité de poids corporel (ex : mg/kg). Elle est bien évidemment déduite d'expérimentations animales qui permettent de déterminer une DJA chez l'animal. Cette valeur est extrapolée à l'Homme par application d'un premier facteur de sécurité fixé à 10 et qualifié d'interspécifique (changement d'espèces animal / homme) puis d'un deuxième facteur de sécurité également fixé à 10 et qualifié d'intraspécifique pour tenir compte de l'extrême variabilité individuelle de l'espèce humaine ; la DJA chez l'Homme est donc déduite de la DJA établie chez l'animal en divisant cette dernière par un facteur de sécurité de 100, lequel n'est pas immuable puisqu'il est modulable en fonction des données scientifiques. Il n'est pas rare du tout de voir ce facteur porté à 500 par exemple si le produit présente une forte toxicité, à 1500 si le produit possède des propriétésmutagènes et même à 5000 s'il y a un doute sur sa non-cancérogénicité.

Même si cette notion de DJA, sous certains de ses aspects, peut être criticable, elle nous semble constituer un élément important dans l'évaluation du risque et contribuer à la protection de la santé du consommateur.

Evaluation du risque pour le consommateur.

La notion que le risque est différent du danger et que le risque c'est le danger associé à l'exposition doit être présente dans l'esprit du consommateur. L'analyse du risque s'effectue en deux étapes :

1. Evaluer l'exposition

2. Confrontation à la limite toxicologiquement acceptable

En ce qui concerne l'évaluation de l'exposition aux produits phytosanitaires, elle intègre les données de consommation alimentaire (enquêtes INSEE, OCA, INCA, etc.) et les teneurs en résidus des denrées alimentaires. En combinant ces deux éléments on peut connaître la quantité de résidus ingérée quotidiennement par le consommateur moyen, si l'usage du produit est autorisé sur plusieurs cultures, l'exposition est la somme des expositions calculées pour chaque denrée. On peut également prendre en compte l'exposition via les denrées d'origine animale s'il y a lieu et l'exposition par les vecteurs non alimentaires. Ensuite il suffit, si l'on peut dire, pour avoir une idée du risque, de comparer ces valeurs d'exposition à la limite toxicologiquement acceptable en se référant par exemple à la DJA, ou à l'apport journalier maximum tolérable (AJMT). (Exemple : 10 à 20% de la DJA = pas de risque - au voisinage de la DJA = à surveiller - dépassement de la DJA = risque non acceptable). A partir de là, des décisions peuvent être envisagées en matière de santé publique et des actions correctives engagées.

Dans cette approche d'évaluation du risque, les données de consommation alimentaires sont nombreuses et bien détaillées notamment dans les enquêtes citées précédemment. Plus difficiles à obtenir sont les valeurs de résidus de produits phytosanitaires réellement représentatives tant les données sont disparates, de sources diverses, dépendantes des méthodes d'échantillonnage, de prélèvements et analytiques et de l'expression de résultats. Il est évident que dans ce domaine et en France en particulier un effort de clarification, d'harmonisation, de compilation, de concertation et d'accessibilité aux données est à faire, cela permettrait sans doute de progresser dans le domaine et éviterait certains désagréments. Cette difficulté est tellement vraie que les enquêtes effectuées (OCA/ CNERNA / CREDOC 1994 - CSHPF 1996) concernant la surveillance des résidus de produits phytosanitaires dans les fruits et légumes et les produits destinés à l'alimentation des nourrissons et enfants en bas âge ont utilisé comme teneur résiduelle la totalité de la LMR afin de se placer dans une hypothèse maximaliste qui est exagérée par rapport à la réalité. Les conclusions de ces études réalisées dans un contexte maximaliste sont rassurantes puisque sur le nombre de molécules "surveillées" (180 environ) seul un petit nombre d'entre elles sont susceptibles - théoriquement - de dépasser la DJA, la grande majorité se situant à un pourcentage faible de la DJA.

Conclusions

Dans le contexte actuel, les grandes interrogations que semblent suscitées les produits phytosanitaires paraissent injustifiée quand on a conscience de ce que représente un dossier d'homologation notamment dans sa partie évaluation de la toxicité vis-à-vis de l'Homme et de l'Environnement, et en matière de résidus dans les denrées alimentaires. L'évolution de la réglementation européenne va également dans le sens d'un renforcement de la sécurité du consommateur en mettant en place de nouvelles contraintes auxquelles devront se soumettre les manufacturiers ; les plans de surveillance des denrées mis en place (DGAL, DGCCRF, SPV) ainsi que les plans de contrôle (DGCCRF), les études prospectives qui tentent d'évaluer et d'analyser les risques sont autant d'éléments sécurisants.

Les produits phytosanitaires ne sont pas dénués de danger, mais il faut les maîtriser au mieux à l'aide de tous les moyens qu'offre aujourd'hui la science. Le problème avec ces produits, au travers de la consommation alimentaire, est qu'il s'agit d'une exposition longtemps répétée à des doses faibles voire très faibles et dans ces conditions les outils expérimentaux peuvent présenter des limites. Il faudrait pouvoir disposer de données épidémiologiques extrêmement sérieuses pour voir s'il existe un lien entre diverses pathologies (maladie de Parkinson, leucémie, cancers, stérilité et perturbations endocriniennes) et l'exposition alimentaire ou professionnelle à ces produits. Les études existant actuellement sont trop parcellaires et concernent des cohortes trop réduites et ne permettent pas de conclure de façon pertinente.

La rumeur persistante selon laquelle ces produits "pesticides" seraient la cause de bien de nos maux ne me semble pas fondée et l'idée qu'il faudrait cesser du jour au lendemain de les utiliser me semble pour le moins prématurée. Il ne faut pas oublier que ces produits peuvent éviter aux denrées alimentaires bon nombre de préjudices sanitaires (infestations bactériennes ou par des champignons mycotoxinogènes), organoleptiques et altérations des propriétés technologiques et que leur apport en santé humaine a été considérable (paludisme…), même si leur utilisation, peut être un peu irraisonnée à certaines périodes, a pu engendrer des phénomènes de résistance qui sont un réel problème. En outre, il est clair que l'utilisation de ces produits permet d'assurer une production des denrées alimentaires à un niveau très nettement supérieur à celui qu'il pourrait être sans le recours aux traitements des cultures, et on peut facilement imaginer de telles conséquences, déjà, dès les années 50 on parlait de chaos et de famine (N. Borlang, Prix Nobel d'agronomie, René Dubos, précurseur de l'écologie) et le problème se poserait de la même façon aujourd'hui même si la lutte biologique ne cesse de progresser.

Ce qu'il faudrait lorsqu'on aborde ces problèmes, c'est bien évaluer l'équation risques / bénéfices et pas seulement dans le cadre des pays industrialisés ; ce qu'il faudrait également c'est que le recours aux produits phytosanitaires perde de son exclusivité et qu'il devienne le complément des moyens culturaux et agronomiques au sein d'une lutte intégrée et raisonnée contre le parasitisme des cultures.

Pr Alain Périquet - Septembre 2001 - Source APRIFEL (Equation-Nutrition n°18)

Université Paul Sabatier Toulouse - Président du Comité Sécurité Alimentaire d'APRIFEL

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