Le patient, ce consommateur « irresponsable », sera sanctionné d'un doublement des franchises médicales

Le patient, ce consommateur « irresponsable », sera sanctionné d’un doublement des franchises médicales Pour répondre à une augmentation significative des dépenses de santé, le gouvernement a fait le choix contestable de doubler les franchises médicales, de surcroit en communiquant sur la nécessaire responsabilisation du patient. Cette décision, loin d'être une solution miracle, exacerbe les inégalités de santé, compromet les principes fondateurs de la sécurité sociale et masque un choix politique peu reluisant.

La semaine dernière, Emmanuel Macron a annoncé l'augmentation des franchises et des participations forfaitaires relatives aux médicaments, actes médicaux et paramédicaux, transports sanitaires et examens de biologie médicale. Cette semaine, le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités a confirmé via un communiqué diffusé le 22 janvier l’engagement des consultations nécessaires à la publication des textes encadrant ces augmentations. Il a également précisé le calendrier de mise en œuvre et le montant probable de ces augmentations.

Un doublement des franchises en deux temps

À compter de la fin mars 2024, les franchises sur les boîtes de médicaments et les actes paramédicaux seront doublées, passant de 50 centimes à 1 euro. De même, les franchises pour les transports sanitaires passeront de 2 à 4 euros et les participations forfaitaires pour les consultations médicales et les examens de biologie de 1 à 2 euros.

Toutes les catégories d'assurés, à l'exception des mineurs, des femmes enceintes sous assurance maternité et des personnes bénéficiant de la complémentaire santé solidaire, seront concernées par l'application des franchises et des participations forfaitaires. Néanmoins, le gouvernement a décidé de conserver le plafond annuel à 50 €, dans le but de limiter l'impact financier sur les patients atteints de maladies graves, y compris ceux qui sont en affection de longue durée (ALD). Ainsi, selon le gouvernement, les patients qui atteignent déjà le seuil de 50 € en franchises ne verront pas leurs coûts s'accroître malgré cette nouvelle mesure.

Objectif : 800 millions d’euros d’économie...

Le gouvernement, dans une démarche de rationalisation budgétaire, vise à réaliser une économie substantielle de 800 millions. Cette initiative s'inscrit dans un contexte où les déficits de la Sécurité sociale ont atteint des sommets préoccupants, exacerbés par les dépenses accrues dues à la crise sanitaire et au vieillissement de la population. Hors Covid, les dépenses d’assurance maladie ont augmenté de presque 20 % entre 2018 et 2022. L'augmentation des franchises médicales est présentée comme une solution pragmatique pour alléger ce fardeau financier. Or selon certains experts, il s’agirait avant tout d’une décision politique contraire aux principes fondateurs de la sécurité sociale.

...en refusant de lever les énoxérations de charge sur les hauts salaires

Dans un article publié sur Libération en septembre dernier sur le sujet l’économiste de la santé Brigitte Dormont jugeait cette mesure « contreproductive sur le plan de la santé publique ». Pour Mme Dormont, cette hausse des franchises risque d'accroître les renoncements aux soins et les inégalités de santé. Le syndicat MG France est sur ce point sur la même longueur d’onde.

« Les effets d’annonce culpabilisants sont dangereux. On fait croire aux gens qu’ils réclament trop de soins, alors qu’il y a des déserts médicaux et qu’il est difficile d’obtenir un rendez-vous chez le médecin… En France, les inégalités sociales de santé sont plus marquées qu’ailleurs. Le levier le plus efficace pour les résorber, c’est de faciliter l’accès aux soins primaires, c’est-à-dire à la consultation chez le généraliste, qui est la porte d’entrée dans le système de soins. Dire «n’allez pas chez le médecin pour n’importe quoi», cela risque d’avoir beaucoup d’impact chez les gens modestes qui ont déjà du mal à faire le premier pas pour aller chez le médecin. » B. Dormont Dans Libération

Elle suggère de revenir sur les exonérations de cotisations sociales pour les salaires supérieurs à 2,5 SMIC, une mesure qui n'aurait pas d'impact négatif ni sur le chômage ni sur la compétitivité et qui pourrait abonder le budget de la sécurité sociale à hauteur de 2 milliards d’euros par an.

Elle rappelle que le principe fondateur de la sécurité sociale est la solidarité entre les malades et les biens portants et que le gouvernement a fait le choix politique de faire porter le fardeau de la réduction des déficits de la sécurité sociale uniquement sur les patients et qui plus est communiquant sur une prétendue consommation irresponsable de médicaments et de soins.

Le patient, un consommateur irresponsable ?

« En France, on consomme trop de médecine », « Il n'y a pas d'argent magique, quand ce n’est pas le consommateur qui la paie, c'est le contribuable qui la paie… » « Au moment où je vois ce que nos compatriotes peuvent dépenser pour les forfaits de téléphonie, la vie quotidienne, se dire qu'on va passer de 50 centimes à 1 euro pour une boîte de médicaments, je n’ai pas l'impression qu'on fait un crime terrible » tels sont les mots prononcés par le président Macron le 16 janvier dernier devant la presse. Le ministère de la Santé milite également pour « une plus grande (…) responsabilisation des Français pour les maladies du quotidien ».

L'argument avancé par les gouvernements pour justifier la réduction de la couverture de la Sécurité sociale repose sur une hypothèse contestable : la croyance que les patients, en payant de leur poche une partie des coûts des médicaments, limiteraient leur consommation. Cette logique, souvent employée, suggère de manière douteuse que l'usage des médicaments est motivé par leur gratuité plutôt que par un besoin de soins. Or, les médicaments sont remboursés par la Sécurité sociale uniquement sur prescription médicale, ce qui réduit considérablement la marge de responsabilité du patient dans leur consommation. Cette approche, réduisant le patient à un simple acteur économique, soulève des questions éthiques et déontologiques importantes.

En réalité, l'impact du doublement des franchises sur les comportements des patients pourrait s'avérer limité. Les montants en question restant modestes, il est peu probable que les personnes disposant de moyens financiers suffisants modifient significativement leur consommation de soins. En revanche, pour les personnes vivant sous le seuil de pauvreté, qui sont exemptées de ces frais, cette mesure n'aura pas d'effet. Les seuls qui pourraient en subir les conséquences en renonçant à certains soins sont les personnes vivant juste au-dessus des minima sociaux et qui subissent déjà fortement l’inflation des prix depuis 2 ans.

Gérard Raymond, président de France Assos Santé, union des associations d’usagers de la santé, critique fortement l'augmentation de la franchise médicale, la considérant non pas comme une mesure de responsabilisation mais plutôt de culpabilisation des usagers.

« Cela nous paraît être une double peine pour les gens qui ont besoin de médicaments pour vivre et se soigner. Et encore une fois, les malades qui ont besoin de prendre des médicaments seront pénalisés … À France Assos Santé, nous plaidons pour la suppression de cette franchise depuis le début de sa mise en place. Dès le départ, nous avons dénoncé cette forme de culpabilisation des patients. Nous voulons rester sur les principes qui ont fondé notre système social et sanitaire, c’est-à-dire que chacun paye en fonction de ses moyens et reçoive en fonction de ses besoins. Il faut redéfinir les besoins, et que la responsabilisation des patients prenne plutôt la forme d’informations, d’accompagnement et d’aides, et non pas d’une sorte de sanction financière… » M Raymond dans La Croix

Il propose une alternative : responsabiliser les prescripteurs. Selon lui, la prise de médicaments résulte principalement d'une prescription, d'où la nécessité de prescrire le bon médicament, au bon patient et au bon moment. Il dénonce les prescriptions les prescriptions excessives et inutiles à 14 ou 15 médicaments, soulignant que les effets secondaires peuvent surpasser leurs bienfaits.

S'attaquer aux franchises « est totalement inégalitaire » et revient à « faire payer les plus modestes, les plus malades », estime la présidente du syndicat MG France, Agnès Giannotti, craignant que certains « renoncent aux soins ». De son coté, la CGT partage cette préoccupation, soulignant que de telles augmentations vont à l'encontre des fondements de la Sécurité sociale, qui reposent sur le principe de « chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins ». Olivier Faure du PS et Fabien Roussel du PCF ont critiqué la mesure, la qualifiant unanimement de « nouvel impôt qui ne dit pas son nom ».

Conclusion

La décision du gouvernement de doubler les franchises médicales, sous couvert de responsabilisation, soulève des questions sur son engagement envers les principes de solidarité de la Sécurité sociale. Car ne nous y trompons pas, cette mesure masque en réalité le refus peu justifiable économiquement de ne pas lever les exonérations de cotisations sociales sur les hauts salaires, privilégiant une solution électoraliste qui transfère une part plus importante du fardeau financier sur les patients, en particulier les plus vulnérables. Ce choix stratégique, loin de résoudre les défis structurels du système de santé, pourrait aggraver les inégalités d'accès aux soins et contraindre de nombreux patients à renoncer aux soins dont ils ont besoin.

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