Caroténoïdes et cancer : une histoire à rebondissement

On connaît l'existence des caroténoïdes depuis plus de 150 ans.

Le ß carotène a été isolé des carottes en 1831 ; les pigments xantophylles des feuilles d'automne ont été mis en évidence quelques années plus tard. Par la suite, un grand nombre de caroténoïdes, ont été identifiés. En 1913, on a observé que la vitamine A, ainsi que divers caroténoïdes, stimulaient la croissance chez le rat. L'explication est venue en 1929 : ces composés sont des précurseurs de la vitamine A chez l'homme et l'animal et on les cantonnera longtemps à ce seul rôle.

En réalité,ils ont dans la nature des fonctions multiples : ils colorent le plumage des oiseaux, servent de pigments photosensibles lors de la photosynthèse, protègent la chlorophylle des plantes contre l'oxydation…

Mais leur célébrité a réellement commencé dans les années 70, quand on s'est rendu compte qu'ils avaient des effets protecteurs contre diverses maladies chroniques, dont les cancers...

Les caroténoïdes protègent contre le cancer…

Tout a commencé le jour où on a associé un index alimentaire en vitamine A à une protection contre le cancer du poumon, sans très bien savoir si celle-ci était liée directement à l'apport en vitamine A, en caroténoïdes ou aux deux à la fois... La réponse est arrivée 10 ans plus tard : c'étaient bel et bien les caroténoïdes, et non la vitamine A, qui avaient un effet carcinoprotecteur.

A partir de là, un grand nombre d'études ont été menées sur le rôle potentiel de ces substances en prévention de nombreux cancers : poumon, cavité buccale et ORL, œsophage et estomac, colon et rectum, sein, prostate, peau…

Toutes les études prospectives, et la majorité des études rétrospectives, ont établi un lien entre la consommation de fruits et légumes riches en caroténoïdes et la réduction des cancers pulmonaires.

Ces notions ont logiquement conduit à des essais de supplémentation.

… mais pas les suppléments alimentaires

Dans une étude Finlandaise, publiée en 1994, près de 30 000 fumeurs de 50 à 70 ans, ont reçu différents suppléments : ß carotène (20 mg), ß tocophérol (50 mg) seuls ou associés, ou placebo, pendant 5 à 8 ans. Totalement opposés à ceux qu'on espérait, les résultats ont fait grand bruit : la supplémentation en ß carotène a augmenté l'incidence des cancers du poumon de 18% et la mortalité de 8% (la vitamine E n'a eu aucun effet…) Ces résultats décevants ont été confirmés deux ans plus tard par une étude américaine similaire : 15 000 fumeurs et 400 sujets exposés à l'amiante ont reçu des suppléments quotidiens de ß carotène (30 mg) et de vitamine A (25 000 UI) en comparaison d'un groupe placebo.

Conclusions :

28% de cancers du poumon en plus et une mortalité augmentée de 17% dans le groupe supplémenté.

L'étude, initialement prévue pour 5 ans et demi, a été stoppée net au bout d'à peine 4 ans…

Moins pessimiste, mais pas plus concluante, la vaste étude des professionnels de santé (22 000 médecins américains supplémentés en ß carotène à 50 mg) n'a démontré aucun effet sur la survenue des cancers, quels qu'ils soient.

Rien ne remplace un fruit ou un légume frais

Ce que l'épidémiologie avait prouvé, les études d'intervention ont donc échoué à le démontrer…Ce qui à la réflexion peut s'expliquer.

D'abord parce qu'une supplémentation ne peut pas reproduire la complexité d'un fruit ou d'un légume. Ensuite parce que les quantités de caroténoïdes ingérées dans les études épidémiologiques sont bien inférieures à celles des supplémentations.

Par ailleurs, les effets d'un micronutriment apporté sous forme de supplément peuvent différer de ceux du même composé présent dans l'alimentation.

Enfin, de fortes doses de ß carotène semblent inhiber l'action d'autres composés protecteurs alimentaires.

Des mécanismes mieux connus

L'augmentation des cancers du poumon chez les fumeurs et les sujets exposés à l'amiante peut s'interpréter de diverses façons.

Au départ, ces composés toxiques créent des lésions pulmonaires qui font le lit d'un cancer. En présence de radicaux libres produits par la fumée de tabac, associés à une forte concentration en oxygène dans les poumons, le ß carotène peut former des peroxydes et des radicaux libres, aggravant les lésions tissulaires préexistantes (on sait par exemple que le ß carotène augmente la toxicité hépatique de l'alcool et le risque de cancer du foie).

Un second mécanisme pourrait être un effet inhibiteur du ß carotène sur l'assimilation d'autres micronutriments protecteurs comme la lutéine, la cantaxanthine ou l'_ carotène. La fumée de cigarette peut également activer les macrophages vers la production de composés oxydants qui vont s'attaquer à la molécule de ß carotène. Enfin, le carotène pourrait augmenter le survie des cellules cancéreuses en inhibant leur apoptose. Aucun de ces mécanismes n'est exclusif et ils s'associent sans doute pour favoriser l'apparition du cancer du poumon.

Quoiqu'il en soit, les espoirs des essais de supplémentation en ß carotène sont aujourd'hui oubliés. Mais les caroténoïdes gardent tout leur intérêt. Tirons les leçons de l'épidémiologie en consommant ces composés orangés sous leur forme naturelle, pour le plaisir des yeux et du palais. Les fruits et les légumes frais demeurent irremplaçables dans le maintien d'une bonne santé.

D'après : Carotenoids and human health, J A Olson, Archivos latino americanos de nutricion, vol 49 N° I-S, 1999

Dr Thierry Gibault - Octobre 2000 - Source APRIFEL (Equation-Nutrition n°9)

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