Tramadol et codéine : report des ordonnances sécurisées au 1er mars 2025
L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a annoncé le report au 1er mars 2025 des nouvelles règles encadrant la prescription de tramadol, de codéine et de dihydrocodéine. Ces mesures, initialement prévues pour le 1er décembre 2024, incluent l’obligation d’une ordonnance sécurisée et une limitation de la durée de prescription à 12 semaines. Si leur objectif est de réduire les abus et mésusages, plusieurs voix, dont la Société Française d’Étude et de Traitement de la Douleur (SFETD), expriment des réserves sur leur mise en œuvre.
Des mesures pour mieux encadrer l’usage des opioïdes faibles
Un objectif : limiter les risques de dépendance et de mésusage
Le tramadol et la codéine, fréquemment prescrits pour soulager les douleurs modérées à sévères, sont associés à des risques significatifs de mésusage, de dépendance et de surdosage. Selon des données issues du Réseau Français d’Addictovigilance, le pourcentage d’ordonnances suspectes pour le tramadol est passé de 6,9 % en 2013 à 17 % en 2022. Les décès liés au tramadol représentaient 35 % des cas de décès toxiques par antalgiques en 2022, soit 48 décès sur 135. Ces chiffres soulignent l’urgence de renforcer les règles entourant leur prescription.
Les nouvelles obligations détaillées
À partir du 1er mars 2025 :
- Les médicaments contenant du tramadol ou de la codéine devront être prescrits sur une ordonnance sécurisée. Ces prescriptions devront mentionner en toutes lettres le dosage, la posologie et la durée du traitement.
- La durée maximale de prescription sera réduite à trois mois pour la codéine et la dihydrocodéine, s’alignant sur les règles déjà en vigueur pour le tramadol.
- Toute prolongation de traitement nécessitera une nouvelle ordonnance.
Les inquiétudes des professionnels face à une mise en œuvre précipitée
La SFETD, par la voix de sa présidente, Pr Valéria Martinez, a alerté sur les conséquences possibles d’une mise en œuvre rapide. Selon le communiqué de presse de l’association, plusieurs obstacles majeurs rendent difficile l’application immédiate des nouvelles mesures :
- Les ordonnances sécurisées, bien que nécessaires, ne sont pas disponibles en quantité suffisante.
- Les logiciels de prescription, dans leur état actuel, ne permettent pas d’intégrer les nouvelles exigences.
- Les professionnels de santé n’ont pas reçu une formation adéquate pour se conformer aux nouvelles règles.
Ces manques pourraient entraîner des interruptions dans la prise en charge des patients, avec des répercussions graves, comme une augmentation des urgences pour douleurs mal contrôlées ou une errance médicale, les patients cherchant des solutions en dehors des circuits sécurisés.
La SFETD souligne un paradoxe : bien que ces mesures visent à sécuriser les prescriptions, l’augmentation du nombre d’ordonnances papier pourrait accroître les risques de vols ou de falsifications. Dr Marguerite d’Ussel, secrétaire générale adjointe de la SFETD, note que "les ordonnances électroniques auraient pu offrir une sécurisation véritable, mais leur mise en place est encore trop limitée".
Des comparaisons inadaptées et une vision équilibrée nécessaire
Un contexte différent de la crise des opioïdes aux États-Unis
La SFETD insiste sur la nécessité d’adapter les politiques publiques au contexte français. Contrairement aux États-Unis, où la crise des opioïdes est marquée par un mésusage massif d’opioïdes forts (comme l’oxycodone), la France est surtout confrontée à des abus concernant les opioïdes faibles. Avec un taux de 0,2 décès pour 100 000 habitants lié aux opioïdes en 2022, la situation française est bien moins critique que celle des États-Unis (20 décès pour 100 000 habitants).
"Nous devons autant nous soucier des risques liés à une sur-prescription que de ceux liés à une sous-prescription lorsque les opioïdes sont nécessaires", souligne Pr Valéria Martinez, rappelant l’importance d’éviter une "opiophobie" qui pourrait priver les patients de traitements essentiels.
Recommandations pour une application réussie des mesures
Mieux former les professionnels de santé
La SFETD préconise de renforcer la formation initiale et continue des prescripteurs sur la gestion de la douleur et l’usage des opioïdes. L’éducation des patients sur les risques et les bonnes pratiques est également jugée cruciale.
Intégrer des solutions numériques
L’intégration d’ordonnances électroniques sécurisées, déjà promise dans le cadre du Ségur de la santé, est perçue comme une solution à long terme. Ces outils permettraient de limiter les risques de falsification tout en facilitant le travail des professionnels de santé.
Diffuser les recommandations existantes
Les recommandations publiées par la HAS en 2022, visant à promouvoir un bon usage des opioïdes, n’ont pas encore eu le temps de produire leurs effets. Une meilleure diffusion et application de ces guides est essentielle pour réduire les abus sans restreindre l’accès des patients aux traitements nécessaires.
Un report, mais des incertitudes persistantes
Le report au 1er mars 2025 accorde un temps précieux pour s’adapter aux nouvelles règles. Cependant, les défis logistiques et organisationnels restent nombreux. L’équilibre à trouver entre la réduction des abus et la préservation de l’accès aux traitements est au cœur des préoccupations.
Comme le résume Pr Eric Serra, vice-président de la SFETD : "Le scandale avec les opioïdes, ce n’est pas de les prescrire, c’est de ne pas les prescrire." Cette déclaration illustre la nécessité de politiques équilibrées, respectueuses des besoins des patients et des réalités des professionnels de santé.
Voir le communiqué de la SFETD
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