18Fluoro-désoxy-glucose (18FDG) et Tomographie par Emission de positons (TEP) : où en sommes-nous en France ?

Interview (*) du Dr Roger-Paul LE NET Clinique Pasteur (Toulouse)



Caducee : Pouvez-vous nous préciser l'apport de la TEP par rapport à la scintigraphie classique et le principe sur lequel s'appuie cette nouvelle technique ?


Dr RP Le Net : La scintigraphie au 18F-Fluoro-désoxy-D-glucose, plus communément appelée scintigraphie au 18-FDG, constitue un progrès majeur en cancérologie.

Trois éléments fondateurs la régissent : un support physiologique, un support radiopharmaceutique et un système de détection (la tomographie à émission de positons : TEP)

Le support physiologique est l'augmentation de la glycolyse dans les tumeurs malignes (Warburg 1931).

Sur le plan radio pharmaceutique, le FDG est le 2-désoxy-D-glucose, analogue du glucose. Il pénètre dans la cellule par l'action de transporteurs membranaires, il y subit une phosphorylation qui lui interdit la voie naturelle de la glycolyse et il reste piégé dans la cellule. Le radio-isotope 18F reste lié à la molécule de FDG et s'accumule donc dans la cellule, permettant une détection du tissu tumoral sous forme d'une hyperfixation, avec un appareil approprié.

La détection est alors basée sur le principe suivant :
Le 18F est un radio-isotope qui émet un positon (antiparticule de l'électron) lors de sa désintégration. Ce positon interagit avec un électron en une réaction d'annihilation qui se traduit par l'émission simultanée de 2 photons de 511 KeV à 180° l'un de l'autre
Si 2 détecteurs placés de part et d'autre du patient détectent simultanément un photon de 511 KeV, on sait alors qu'un positon a été émis quelque part, le long de la ligne joignant les 2 points d'impact sur les détecteurs.
En accumulant un très grand nombre d'évènements de ce type sur une orbite de 360° autour du patient, on peut reconstruire la distribution du radio-isotope chez ce patient.


Caducee : Quel est donc l'intérêt pratique de la TEP ?

Dr RP Le Net : Actuellement le marquage du désoxyglucose ne peut être réalisé avec les isotopes courants utilisés en Médecine Nucléaire. Le marquage se fait avec du 18F qui présente certains avantages (taux de comptage permis élevé, absence de collimation), mais un inconvénient, une période physique courte de 112 minutes. Cet inconvénient impose une grande proximité entre le site de production et celui d'utilisation.

A l'heure actuelle, près d'un millier de publications internationales ont montré l'utilité de la scintigraphie au 18 FDG en cancérologie et plusieurs auteurs ont prouvé que le rapport coût/efficacité était en faveur de cette biotechnique, comparée aux autres alternatives diagnostiques, si bien que déjà, certaines équipes chirurgicales refusent d'opérer un nodule pulmonaire isolé sans avoir fait pratiquer une scintigraphie au FDG au patient.


Caducee : Quelle est la position de la France par rapport aux autres pays et à cette biotechnologie ?

Dr RP Le Net : Aux USA, 600 machines sont en activité. En Allemagne, une conférence de consensus vient d'avoir lieu sur la pertinence de l'utilisation de la scintigraphie au FDG en oncologie, les besoins ont été évalués à plus de 100 machines, dont 76 sont actuellement implantées et/ou autorisées.
En Belgique, il y en a déjà plus de 15, soit une TEP pour moins de 600 000 habitants.
La France, quant à elle, n'a que 6 machines installées, dont 4 quasiment réservées à la recherche ; 2 machines seulement sont utilisables en clinique à Paris parmi lesquelles l'une appartient aux équipements sanitaires militaires. 4 autorisations sont accordées dont 2 vont aboutir dans les prochains jours à une mise en service (Rennes et Nantes).
Ce " parc " est complété par l'utilisation de 7 gamma-caméras réparties sur le territoire national sur lesquelles des améliorations ont été effectuées (détection par CDET) autorisant la détection du 18-FDG avec un pouvoir de résolution moindre que celui du TEP dédié.
A l'heure actuelle, l'Italie, l'Espagne et le Portugal sont d'ores et déjà mieux équipés que nous.


Caducee : Quelle est la situation pratique en France ?

Dr RP Le Net : Tout d'abord, le FDG a obtenu une AMM dans un certain nombre d'indications en oncologie, mais sans qu'aucune cotation spécifique n'ait été accordée à cet examen, il n'est pas inscrit à la nomenclature et n'est donc de fait pas remboursé.

La Société de Biophysique et de Médecine Nucléaire (SFBMN) et le Syndicat National de la Médecine Nucléaire (SNMN) proposent dans un premier temps, l'implantation de 50 caméras TEP, réparties judicieusement autour de 10 cyclotrons (appareils permettant la production du 18F).

Ce nombre de 50 machines découle de l'étude de besoin que nous avons réalisée en tenant compte des indications actuelles de l'AMM, qui sont relativement restrictives comparées aux indications de la conférence de consensus allemande.

Dix sites de production, pour 2 raisons : l'une économique, l'autre technique :
- pour qu'un cyclotron soit rentable financièrement, il faut qu'il produise au moins 50 doses par jour, une caméra Tep peut réaliser 10 examens par jour (s'il y a une grande amplitude d'ouverture du site), ce qui fait effectivement 50 doses, seuil de rentabilité du cyclotron.
- la demi-vie ou période physique du 18F est de 112 minutes, ce qui met la distance maximale du lieu d'utilisation à 2 heures, au plus du site de production, pour une utilisation correcte.

Donc, 10 cyclotrons, bien répartis sur le territoire national, avec leur cohorte de TEP permettraient un accès sensiblement équitable pour tous les patients


Caducee : Quelle est la position des Pouvoirs Publics actuellement, face à vos propositions ?

Dr RP Le Net : Dans sa présentation du programme national, de lutte contre le cancer du 1er février 2000, Madame Gillot, Secrétaire d'Etat à la Santé, précise dans son objectif n°3, qu'il faut " favoriser l'accès aux techniques innovantes " et que " l'ensemble de la population doit pouvoir accéder en fonction de ses besoins aux techniques les plus innovantes, lorsqu'elles sont validées dans le cadre de protocoles de bonnes pratiques ". Madame Gillot dit également que la scintigraphie au FDG " est une nouvelle technique utile dans le diagnostic de gravité de certains cancers " et qu'il faut " améliorer la diffusion, en permettant un accès équitable à cette technologie dans de bonnes conditions de pratique ".

Cependant, les modalités de diffusion de TEP, en France, ont été précisées dans une circulaire à la Direction des Hôpitaux de décembre 1999, dont la lettre et l'esprit sont en contradiction avec les déclarations du Gouvernement :

- " La TEP doit, compte tenu de ses aspects légaux et technologiques, faire l'objet d'une évaluation clinique, portant non seulement sur les indications, mais également sur les protocoles applicables et leur impact en terme d'efficacité et de stratégie thérapeutique "

Faut-il faire, en France toutes les études de validation clinique, publiées dans la littérature internationale ? Qui ? En combien de temps ? Avec quel financement ? Quelle est alors la valeur de l'AMM accordée au FDG dans plusieurs indications en cancérologie ?

- " A ce jour, il n'est pas encore possible de déterminer le potentiel de diffusion de la TEP pour répondre aux besoins de la population "

Que fait-on de l'expérience de pays déjà équipés comme les USA, l'Allemagne, ou la Belgique ? Toutes les estimations convergent pour évaluer les besoins à 1 TEP par million d'habitants, pour les seules indications autorisées par l'AMM

- " Par application de l'arrêté du 10 août 1999, les installations de TEP sont désormais contingentées par un indice de besoins communs à l'ensemble des équipements de médecine nucléaire& Un nouvel indice de besoins pourrait éventuellement être envisagé, à moyen terme, si les résultats de l'évaluation clinique de l'imagerie à positon en établissent la nécessité "


La TEP correspond à des besoins nouveaux en Médecine Nucléaire.
Incorporer la TEP dans la carte sanitaire des gamma caméras (actuellement saturée dans la plupart des régions sanitaires françaises) et sans augmenter les indices relève d'une logique de contingentement comptable ne tenant pas compte des besoins sanitaires de la population. Installer une TEP impose de supprimer une gamma caméra dont la France est nettement sous équipée.
Ceci entraîne une inégalité dans la population française et une difficulté, voire une impossibilité d'accès à cette technique diagnostique parfaitement validée au niveau international.
Cette situation, imposée par les décisions de la Direction des Hôpitaux, est contraire aux objectifs affichés par le gouvernement dans le cadre du " plan cancer ". Elle est aussi contraire à l'éthique médicale. On peut alors parler de perte de chance pour les patients qui n'auront pas la possibilité d'aller à l'étranger pour bénéficier de ce type d'examen (Belgique, Allemagne).
Le Ministère vient de débloquer 85 appareils d'imagerie par résonance magnétique (IRM). Ce déblocage, demandé depuis longtemps par les radiologues, est justifié par l'utilité de cette technique, nous espérons être entendus à notre tour.

(*) Interview réalisée sur une base de réflexion commune avec le Professeur G. Karcher (Nancy) et les Docteurs E. Grémillet (Saint-Etienne) B. Songy (Saint Laurent du Var) JM Vinot (Avignon) et E. Zerbib (Saint-Cloud)

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