Flavonoïdes et leucémies aiguës de l'enfant : faut-il déconseiller les fraises pendant la grossesse ?

Un article récemment paru dans les comptes rendus de l'Académie des Sciences américaine, rapporte les résultats obtenus en laboratoire lors de l'exposition de cellules hématopoïétiques à 20 flavonoïdes présents dans les fruits et légumes (Strick et al, 2000).

Dans ces circonstances, les auteurs mettent en évidence des cassures au niveau du gène MLL, sur le chromosome 11, identiques à celles retrouvées au cours des leucémies aiguës de l'enfant et l'inhibition d'une enzyme, la topo-isomérase (cette enzyme est nécessaire à la réplication de l'ADN au cours de la division cellulaire : elle permet le déroulement de l'ADN en le coupant, puis en rétablissant la continuité par ligation). Ils suggèrent donc que la consommation de ces molécules durant la grossesse pourrait être responsable de telles pathologies.

Identifier les facteurs toxiques pour le fœtus

Ce travail explore l'hypothèse, faite il y a plusieurs années, selon laquelle, en plus des facteurs génétiques et environnementaux qui concourent à la survenue de tous les cancers, les leucémies aiguës de l'enfant seraient dues à l'exposition du fœtus à des toxiques. Ainsi, par une approche épidémiologique, plusieurs facteurs de risque ont déjà été évoqués comme la consommation de marijuana, d'alcool ou l'exposition à des pesticides (Greaves, 1997). En 1996, Ross et coll. ont suggéré que la consommation de fruits et légumes pourrait également être un facteur de risque bien que cette étude, présentée comme préliminaire, n'ait pas été confirmée (Ross et al., 1996). La suspicion concernant cette catégorie d'aliments vient du fait que l'utilisation d'inhibiteurs synthétiques de topo-isomérases dans le traitement de différents cancers (Pui and Relling, 2000) est responsable de leucémies secondaires impliquant des réarrangements du chromosome 11. Or les fruits et les légumes sont riches en flavonoïdes, molécules capables d'inhiber les topoisomérases. Peut-on considérer pour autant que la démonstration de la responsabilité des bioflavonoïdes soit faite concernant la genèse des leucémies aiguës de l'enfant ? Ces résultats suscitent évidemment quelques commentaires...

Ne pas se tromper de flavonoïdes

On doit d'abord souligner que les molécules utilisées dans ces expériences in vitro ne sont pas, pour l'essentiel, celles auxquelles sont exposées les cellules in vivo. En effet, les formes des flavonoïdes majoritairement retrouvées dans la circulation après un repas sont des formes conjuguées et non libres ou glycosylées (Scalbert and Williamson, 2000). En conséquence, les concentrations auxquelles ont été notés des effets pour la quercétine ou la génistéine sont 50 à 250 fois supérieures à celles mesurées après un repas riche en flavonoïdes ! Aurait-on obtenu les mêmes résultats si des molécules conjuguées, administrées à des doses physiologiques, avaient été utilisées ?

L'importance des gènes partenaires

D'autre part, les anomalies chromosomiques décrites dans les leucémies aiguës de l'enfant sont en réalité des translocations réciproques équilibrées, c'est-à-dire avec un échange de matériel entre 2 chromosomes. Dans la majorité des cas, c'est le gène MLL, situé sur le chromosome 11, qui est impliqué, avec différents partenaires comme le gène AF4 (sur le chromosome 4) pour la leucémie aiguë lymphoblastique, ou le gène AF9 (sur le chromosome 9) pour la leucémie aiguë myéloblastique (Felix and Lange, 1999). Il aurait été intéressant de vérifier si, simultanément à la cassure dans le gène MLL, il se produisait une cassure, voire une recombinaison, sur l'un de ces gènes partenaires (AF4 ou AF9) et ceci aux mêmes concentrations de flavonoïdes.

L'hypothèse d'implication physiopathologique en aurait été renforcée...

Des cassures réversibles

Enfin, les auteurs montrent que les cassures sont réversibles une fois que les molécules sont enlevées. Cela signifie que la topo-isomérase reste fonctionnelle puisqu'une ligation de l'ADN intervient. Est-ce que les conditions d'expérience n'amplifient pas un événement transitoire, dont on sait qu'il correspond au fonctionnement normal des topo-isomérases, et reste sans conséquence biologique ?

Des risques limités En conclusion : pas d'emballement. Pour tempérer ces résultats expérimentaux, il est nécessaire de rappeler que les fruits et légumes, ainsi que les flavonoïdes alimentaires, ont largement montré leurs effets protecteurs contre plusieurs cancers, dont la prostate, le côlon et le poumon (Steinmetz and Potter, 1996). Ainsi, bien que le risque ait été évoqué et puisse, peut-être, se limiter à une période spécifique de la grossesse correspondant à la mise en place du système hématopoïétique et immunitaire, il est souhaitable que d'autres études soient menées, en particulier avec les molécules réellement circulantes, avant qu'il soit nécessaire de déconseiller... les fraises aux femmes enceintes !

Références bibliographiques

Felix, C. A., and Lange, B. J. (1999). Leukemia in infants. Oncologist 4, 225-40.

Greaves, M. F. (1997). Aetiology of acute leukaemia. Lancet 349, 344-9.

Pui, C. H., and Relling, M. V. (2000). Topo-isomerase II inhibitor-related acute myeloid leukaemia. Br J Haematol 109, 13-23.

Ross, J. A., Potter, J. D., Reaman, G. H., Pendergrass, T. W., and Robison, L. L. (1996). Maternal exposure to potential inhibitors of DNA topo-isomerase II and infant leukemia (United States) : a report from the Children's Cancer Group. Cancer Causes Control 7, 581-90.

Scalbert, A., and Williamson, G. (2000). Dietary intake and bioavailability of polyphenols. J Nutr 130, 2073S-85S.

Steinmetz, K. A., and Potter, J. D. (1996). Vegetables, fruit, and cancer prevention : a review. J Am Diet Assoc 96, 1027-39.

Strick, R., Strissel, P. L., Borgers, S., Smith, S. L., and Rowley, J. D. (2000). Dietary bioflavonoids induce cleavage in the MLL gene and may contribute to infant leukemia. Proc Natl Acad Sci U S A 97, 4790-5.

Dr Jean-Marc Lacorte - Octobre 2000 - Source APRIFEL (Equation-Nutrition n°9)

Docteur en Médecine, Docteur Es Science, DES de Biologie Médicale, MCU-PH, laboratoire de Biochimie Médicale, Hôtel Dieu

APRIFEL - Agence pour la Recherche et l'Information en Fruits et Légumes frais

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