L'implant et son temps

Qu'était l'implant au départ ? 
une technique un peu magique, mise au point dans un pays lointain par des gens très sérieux qui tenaient un discours très savant avec des termes très techniques, peut-être parce qu'ils craignaient justement qu'on ne les prenne pas au sérieux. D'où ce malentendu sur certains termes, comme ostéo- intégration, qui recouvrent cependant des faits très réels, très qualifiables, très quantifiables... Entre cette sacralisation et les a priori négativistes, qu'est devenu l'implant maitenant ? : une technique avérée, fiable, avec ses avantages et ses inconvénients, désacralisée mais reconnue. Ceci pourrait être le cas de bien des techniques, de bien des médecines. Entre le charlatanisme exacerbé par le déclin du religieux et l'incertitude des mondes, et la lucidité et le rejet des systèmes, tout est aujourd'hui possible, en médecine comme ailleurs.

Technique à part, l'implant est devenu une spécialité dans la spécialité... 
oui, mais laquelle ? 
sur le plan pratique c'est le problème de la formation et de la qualification qui est posé; sur le plan théorique, c'est de l'éclatement des "spécialités" qu'il s'agit : éclatement ou plutôt morcellement et reconstruction. N'arrivera-t'on pas à délivrer certaines qualifications, très précises, de façon très sérieuse et très pointue, comme par exemple le font les autorités aériennes civiles ou militaires qui délivrent des aptitudes au pilotage spécifiques pour tel ou tel avion. Et sur le plan médical, une juxtaposition de module acquis ne pourrait-elle pas donner une spécialité ?.. dont on pourrait alors redessiner les contours au fur et à mesure des évolutions. ..au lieu d'en fixer des lignes figées pour une éternité qui ne dure pas 10 ans et génère inconfort, malaise et explosion. Notre monde est celui de l'adaptabilité et de l'adapatation.

Remodeler, recomposer, tenir compte... tout est lié actuellement et l'agilité d'esprit est nécessaire. L'implant est un acte en soi, mais intégré dans un programme, aux nécessités duquel il se soumet, mais aussi qu'il conditionne... d'où les rapports à l'autre, l'autre praticien certes, mais aussi l'autre technique: accepter un autre point de vue, tenter de l'appréhender, non pour arriver à un "consensus mou" mais pour voir si "on peut faire" ou non. ..et comment. 
Chirurgien, il m'a souvent été difficile de faire comprendre à mes collégues anesthésistes que je disposais pour un même patient d'une série d'interventions réalisables, et qu'ils devaient sortir de leur schéma habituel: acceptation ou récusation pour rentrer dans le: plutôt ce "package" que celui-ci. ..ou pour être plus français, plutôt cette solution que celle-là. 

Travail d'équipe, l'implant peut impliquer des interventions beaucoup plus lourdes que sa simple pose: reconstruction de crête, comblement de sinus. ..Les problèmes éthiques qui se posent peuvent être, à la limite, ceux qui se posent à la chirurgie esthétique: apprécier le risque encouru, le service rendu, faire la balance, la faire saisir au patient: d'où les points de frictions où s'affrontent deux mondes, l'anglo- saxon et le nôtre... quelqu'un peut-il disposer librement de son corps, à ses seuls risques et périls ? et le médecin qui fait prendre ces risque est-il attaquable ? Il existe là, une même appréhension par les juges du phénomène en implantologie et en chirurgie esthétique; on est beaucoup plus sévère sur la nécessité d'un exposé des risques et leur appréhension en chirurgie esthétique; on est sévère sur les conditions techniques de réalisation des implants... peut-être cela correspond-il à une réalité, à une nécessité, peut-être est-ce aussi le premier motif plausible saisi par les juges pour éviter tel débordement: problème d'un choix de société. Problème qui se répercute aussi dans le choix des matériaux utilisés dans ces chirurgies: faut-il utiliser des produits autologues, hétérologues, d'origine animale ? La découverte du VIH, les progrès de la virologie, la découverte des prions ont modifié bien des choses; en ce domaine, a-t'on encore le droit d'être innocent ?

L'implant pose aussi le rapport à l'argent, le co ût de la médecine, son remboursement, et les contradictions entre une règlementation de 50 ans, des techniques, des gestions modernes... et les effets pervers qui en découlent.

Un implant unitaire et sa couronne sont certes onéreux, mais intrinséquement, ils le sont moins qu'un bridge de trois dents -ou de quatre. ..et ils évitent, à tout le moins, la fragilisation de ces dents, sinon leur dévitalisation. Tout devrait donc être fait pour soutenir cette technique. et bien non... L'implant, et la couronne qui va avec, comble des combles, ne sera pas remboursé et le bridge de 4 dents, si, aussi bien par la mutuelle que par l'assurance maladie. Curieux monde qui favorise une pratique certes plus intéressante pour le praticien, moins pour le patient car tous les coûts se répercutent, et qui grève l'avenir... et l'on parle de maitrise de la santé. Pratique intéressante, l'implant est aussi tentation: tentation de sauter les étapes, risque d'employer "per primurn" une technique qui doit être le dernier recours et ne saurait dispenser le praticien commer le patient de l'arsenal thérapeutique au complet: le meilleur implant c'est encore la racine naturelle.

Tel est l'implant, solution de génie, symbole de nos contradictions, de nos peurs, de nos attentes, vecteur de notre ambiguité, reflet de notre société à l'aube bientôt du troisième millénaire... c'est quand même plus reposant et constructif que la comète.

Docteur J. Fain 
Service de Stomatologie et Chirurgie-Maxillo-Faciale 
AP-HP CHU BICETRE

Descripteur MESH : Risque , Esthétique , Médecine , Assurance , Assurance maladie , Charlatanisme , Consensus , Discours , Incertitude , Maladie , Prions , Santé , Stomatologie , Thérapeutique , VIH Virus de l'Immunodéficience Humaine , Virologie

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