Déterminer le plus petit génome compatible avec la vie
Parvenir à déterminer le nombre minimal de gènes nécessaires à un organisme vivant pour vivre et se reproduire en laboratoire. Tel est le pari de chercheurs américains qui rapportent que Mycobacterium genitalium, micro-organisme qui possède le plus petit génome cellulaire connu, peut survivre si l’on inactive dans son ADN une bonne centaine de gènes.
Ces recherches sur le " génome minimal " touchent à la définition même de la vie. A l’instar du clonage reproductif, impensable avant que la naissance de la brebis Dolly devienne une réalité, ces expériences soulèvent de très importantes éthiques. En effet, leur finalité est, un jour, la création de micro-organismes, existants ou entièrement nouveaux, dont le génome réduit à sa plus simple ‘expression’ serait construit de manière complètement artificielle.
Dès les premières phrases de leur article publié dans la revue Science, Craig Venter et ses collègues de The Institute for Genomic Research (TIGR, Rockville, Maryland) posent le problème en ces termes : " une question importante posée par la connaissance des séquences complètes de génomes est de savoir combien de gènes sont essentiels à la vie cellulaire. Nous sommes maintenant en mesure d’approcher ce problème en reformulant la question : ‘Qu’est que la vie ?’ en des termes génomiques : ‘Quelle est la combinaison de gènes essentiels à une cellule ?’.
C’est à la bactérie M. genitalium dont l’ADN ne comporte que 580 kb que les chercheurs se sont intéressés. Son génome a été entièrement séquencé. Il code pour 517 gènes dont 480 gènes gouvernent la synthèse de protéines, 37 autres codant pour divers types d’ARN. Par ailleurs, on sait que seulement 85 % du génome de M. genitalium renferment des séquences codantes.
L’organisme le plus proche de M. genitalium est Mycoplasma. pneumoniae dont le génome fait 816 kb, soit 236 kb de plus que M. genitalium.
Procéder par élimination
Les chercheurs américains, parmi lesquels figure Hamilton Smith, prix Nobel pour ses travaux sur la mutagénèse dirigée, ont utilisé une technique de mutagénèse appelée ‘global transposon mutagenesis’ pour générer des mutations tout au long du génome de M. genitalium. L’insertion de transposons au sein de l’ADN de M. genitalium permet d’interrompre le cadre de lecture de plusieurs centaines de gènes.
L’intérêt d’une telle stratégie est qu’elle permet d’inactiver toute une série de gènes non indispensables en produisant des mycoplasmes mutants viables dont le génome ne contient donc qu’une fraction des gènes fonctionnels présents dans les bactéries sauvages.
Le séquençage des zones de jonctions entre les éléments transposables étrangers et le génome bactérien a permis de déterminer la position de 2.209 insertions de transposons au sein du génome de M. genitalium et de son cousin M. pneumoniae.
Au total, 1.354 sites différents d’insertion des transposons, ont été identifiés dans les mutants viables. Il étaient situés dans 140 gènes différents de M. genitalium et 179 gènes différents dans M. pneumoniae.
Chez ces bactéries mutantes viables, on peut donc considérer que les gènes dont la structure n’a pas été interrompue par la manipulation du génome par mutagénèse sont des gènes essentiels.
Sur la base des données sur les gènes non indispensables de ces deux génomes, les chercheurs estiment que le nombre des gènes de M. genitalium qui codent pour des protéines essentielles se situe entre 265 et 350, comparé aux 480 gènes naturellement présents dans la bactérie. Environ un tiers des gènes de cette bactérie ne sont donc pas strictement indispensables.
Parmi les gènes essentiels, on ignore la fonction de 111 d’entre eux. La présence d’un aussi grand nombre de gènes essentiels de fonction inconnue dans un micro-organisme dont le génome est pourtant le plus simple que l’on connaisse laisse à penser que tous les mécanismes moléculaires de base qui sous-tendent la vie cellulaire n’ont pas encore été décrits, estiment les chercheurs.
Au total, bien que M. genitalium possède un génome déjà très limité qui lui permet de survivre chez son hôte humain, il est clair que ce germe contient plus de gènes que nécessaires pour survivre dans les conditions particulières de croissance en laboratoire.
Les auteurs soulignent que l’ensemble des gènes essentiels ne correspond pas au génome minimal. En effet, des gènes indispensables pris isolément ne le sont peut-être pas tous pris collectivement. Une façon de dire qu’ils peuvent mieux faire, que la taille du génome minimal de M. genitalium sera forcément revue à la baisse.
Ces expériences ne sont donc qu’un premier pas vers la construction d’une cellule, bactérienne en l’occurrence, possédant un génome minimal lui permettant de survivre dans l’environnement d’un laboratoire.
Une manière d’identifier la combinaison minimale de gènes pour une vie autoréplicative serait de construire un génome, créer un véritable chromosome artificiel, " une expérience conditionnée à un avis éthique ", concluent les auteurs.
Il reste que créer la vie nécessite également de connaître les autres composants cellulaires (protéines, lipides et glucides) que la bactérie utilise pour son métabolisme et sa réplication et de savoir comment ils s’assemblent à l’ADN.
Des questions éthiques à débattre
Définir les séquences génétiques spécifiques qui définissent la limite entre la matière vivante et la matière inerte, entre la vie et la non-vie, ne va évidemment pas sans poser de sérieux problèmes éthiques.
La revue Science a invité des représentants d’un groupe d’éthique sur la génomique qui réunit une quinzaine de chercheurs à exposer les considérations éthiques relatives à la synthèse d’un génome minimal et à discuter des applications possibles d’une telle recherche.
Mildred Cho du centre d’éthique biomédicale de l’Université de Stanford (Californie) et ses collègues estiment que " la création d’un génome minimal serait un pas important en génie génétique dans la mesure où ce type de recherche pourrait permettre de progresser sur les origines de la vie, l’évolution bactérienne, ou le contrôle du métabolisme bactérien ". " La définition d’un génome minimal pourrait conduire à une meilleure compréhension des génomes d’organismes modernes plus complexes ", ajoutent-ils.
Selon eux, les principaux bénéfices de cette recherche concernent le génie microbien. Un " organisme minimal " recombinant, conçu pour synthétiser une substance d’intérêt pharmaceutique, pourrait par exemple produire moins de déchets susceptibles de contaminer la protéine à usage thérapeutique. De même, un organisme au génome minimal pourrait être utilisé pour n’effectuer qu’une tâche spécifique : dégrader des toxines de l’environnement, par exemple.
Les membres de ce groupe de réflexion estiment que bien que les organismes développés à partir de génomes minimaux ne poseraient pas nécessairement plus de risques que les organismes génétiquement modifiés (OGM) actuellement obtenus par les techniques du génie génétique, cette technologie pourrait accélérer le rythme auquel les OGM sont développés.
La construction de nouveaux micro-organismes soulèvent également d’épineuses questions de propriété intellectuelle et commerciale. En effet, il n’est pas évident de savoir comment des industriels désireux de développer une bactérie minimale feront-ils pour construire un jeu limité de gènes, si nombre d'entre eux devaient faire l’objet d’un brevet différent.
Une approche réductionniste de la vie
La création d’un génome minimal repose à l’évidence sur une vue réductionniste de la vie. " Une telle approche peut contribuer à limiter notre compréhension des organismes vivants ", de la même façon que l’on a pu penser, à tort, que les virus étaient les précurseurs de la vie cellulaire.
Une approche réductionniste de la vie humaine ne peut également satisfaire ceux qui croient que la dimension de l’homme ne peut se résumer à une combinaison unique de mécanismes moléculaires.
Et les éditorialistes de s'interroger : " Quelles sont finalement les conséquences si l’on définit la vie en termes d’ADN ? Doit-on permettre que la définition de la vie ne soit qu’une question scientifique qui parte du principe qu’il n’y a rien dans le monde qui ne soit pas physique ? Les biologistes peuvent-ils, ou devraient-ils, décider de la signification de la vie sans la contribution de théologiens, de philosophes, de sociologues, du public ? ".
Réduire la vie, en particulier la vie humaine, aux gènes ne va non plus sans qu’on se pose une question fondamentale : quand la vie commence-t-elle ? On peut ainsi s’interroger pour savoir si les questions métaphysiques complexes autour du statut de l’être humain peuvent être discutées en termes de présence ou d’absence d’une série de gènes particuliers.
Au total, " la perspective de construire de nouveaux génomes minimaux ne viole aucun principe moral fondamental, ne brise aucune frontière. Elle soulève en revanche de vraies questions qu’il est essentiel de considérer avant que la technologie ne progresse. Comment la recherche sur les génomes minimaux et la création de nouveaux organismes vivants changera-t-elle nos idées sur la vie et notre relation à elle ? Comment la technologie peut-elle être utilisée pour le bien de tous, et en quoi les lois et les règles sociales peuvent-elles faire en sorte qu’il en soit ainsi ? ", déclarent les signataires de l’éditorial.
Ils reconnaissent volontiers que la tentation semble irrésistible de diaboliser cette recherche fondamentale. Cependant, " la communauté scientifique et le public doivent comprendre ce dont il est question afin de cerner les questions éthiques, religieuses et métaphysiques qui se posent ". Il appartient à tous de faire en sorte que l’éthique ne soit pas à la traîne de la science, concluent-ils.
Source : Science, 10 décembre 1999, vol.286, 2165-9, 2087-9.
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